Jean-Philippe Blondel. (c) Marc Melki/Buchet-Chastel. |
Le quinzième roman - en littérature générale car il écrit aussi pour les ados - en seize ans de Jean-Philippe Blondel, tout juste 55 ans, est paru pour la première fois à la rentrée littéraire. Le 15 août précisément. Est-ce mieux? Je n'en sais rien. Ce que je sais, c'est que "La grande escapade" (Buchet-Chastel, 268 pages) est un roman formidable où on retrouve le charme de l'écriture de Blondel et même un peu plus, sa première exploration du territoire attachant qu'est l'enfance et le déploiement d'une fresque de personnages à la moitié des années 1970.
"La grande escapade" se déroule dans et aux alentours de l'école Denis-Diderot. En province donc. En briques orange. Une école mais aussi les habitations de plusieurs des enseignants. Un huis clos, avec ce qu'on peut imaginer de secrets, de chagrins, d'espionnages, de commérages, de rêves aussi. Les personnages sont de deux générations, les adultes, personnel de l'école et conjoints, et les enfants, fils et filles des précédents. Ces derniers évoluent dans les mêmes lieux mais aussi dans le jardin public et le terrain vague où se trouve leur cabane secrète.
Il est même étonnant dans un premier temps de découvrir que l'auteur présente les gamins par leur prénom et leur nom de famille. Parce que ces teenagers et leurs questionnements sont importants. L'un d'entre eux, Philippe Goubert, 10 ans, celui qui se rêve écrivain, celui qui scrute la vie en lui et le chemin à prendre, ouvre et ferme ce roman très agréablement composé, dont les protagonistes nous sont tout de suite proches. Par la magie de son écriture, Jean-Philippe Blondel nous les donne à connaître de l'intérieur, sans faire heureusement un roman social. On retrouve le plaisir de savourer ces phrases longues dans lesquelles il excelle, dont chaque mot est pesé et bien placé.
Ce nouveau roman nous plonge dans la France de 1975, celle de Giscard, de la majorité à 18 ans, du long drink à l'apéro et du rosbif du dimanche, de la deuxième voiture, des Rubettes, des Beatles, de Boney M et de Bob Dylan. On s'y observe, on s'y commente, on sait ce qui est bon pour les autres quand on est adulte. En face, les enfants avec leur goût pour l'aventure et même le danger, leurs yeux ouverts sur ce qu'on leur cache, sont les miroirs des changements qui s'instaurent.
Mai 68 vient de passer, faisant enrager les instituteurs de la vieille école, adeptes des châtiments corporels, ouvrant des perspectives aux plus jeunes, attentifs à de nouvelles méthodes telles que celle de Célestin Freinet, plus appropriées pour les élèves non conformes au moule parfait.
"Il [Philippe Goubert] a parfois l'impression d'avoir attendu un instituteur comme celui-là [Charles Florimont] toute sa vie, et il a du mal à se retenir de le clamer sur tous les toits."La mixité va aussi entrer à l'école. La politique n'est jamais loin des discussions entre ces adultes. La pyramide du pouvoir est bien là, mais fissurée par les femmes qui revendiquent leur place et des droits, par les nouvelles idées d'enseignement, par les premières prises de conscience écologique.
"Les temps changent, Lorrain, ce n'est pas moi qui le dis, c'est Bob Dylan. Nous devons changer avec eux."Si on se soucie de mieux vivre et sans doute de consommer davantage, les humains restent des humains avec leurs aspirations, leurs mensonges et leurs secrets, leurs coups de foudre et leurs trahisons, leurs blessures et leurs arrangements avec la morale, comme lors de la grande escapade qui mènera quatre des enseignants du groupe scolaire à Paris. Un week-end plus bouleversant qu'on ne l'imaginait car Jean-Philippe Blondel a aussi le sens du romanesque. Il mène ses personnages jusqu'au bout d'eux-mêmes et c'est pour cela que cette escapade dans les années 1970 est aussi réussie et régalante. Pas de regret d'un temps passé mais une plongée dans un quotidien incarné, plein de vie, d'émotions et de rires.
A noter que le roman précédent de Jean-Philippe Blondel, "La mise à nu" (lire ici), vient de paraître en poche chez Folio.
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