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jeudi 2 mars 2023

La Partie s'est vraiment installée

Adrien Parlange égrène les souvenirs d'une vie. (c) La Partie.

Plusieurs milliers d'albums jeunesse
sont publiés chaque année et curieusement, une petite maison de quatre personnes ayant une grande expérience professionnelle et sachant ce qu'elles veulent (lire ici et ici) revient régulièrement dans les sélections des prix. Pépites de Montreuil (lire ici), Prix IBBY Belgique francophone (lire ici), Bologna Ragazzi Awards (lire ici), Prix Sorcières (lire ici)...  Les livres illustrés publiés par les éditions La Partie trustent les sélections des palmarès et n'en repartent pas perdants. Et on s'en réjouit tant chaque album publié présente originalité et exigence tout en offrant un immense plaisir de lecture. Des bijoux dont certains ont été présentés ici

Coup d'œil à reculons sur 2022

Souvenirs d'une vie


Les printemps
Adrien Parlange
La Partie, 78 pages
dès 4 ans
octobre

Merveille d'album en moyen format bien épais, toilé de jaune, sur la couverture duquel dort un bébé croqué en quelques traits ronds et tendres. Fort original avec son dispositif d'onglets découpés dans les pages en carton épais que les jeunes lecteurs comprennent immédiatement, puissamment poétique dans son évocation d'une existence. Un livre écrit à la première personne, splendidement illustré de croquis en plusieurs couleurs, qui touche au cœur, ravit les yeux et les oreilles et flotte longtemps dans la mémoire.

Ce nouveau-né endormi, on va le suivre durant 85 ans. De page en page, il nous confie les souvenirs qu'il a depuis ses 3 ans. Pas avant: "Des deux premières années de ma vie, je ne garde aucun souvenir." Mais "A 3 ans, je fais quelques pas dans la mer. L'image de mes deux pieds dans l'écume est la première que je garde en mémoire". Un croquis sur fond jaune le montre, la main dans celle de sa maman. L'onglet découpé dans la page de droite trouve sa raison d'être tout de suite après. "A 4 ans, mon père me fait goûter un minuscule fruit rouge ramassé au bord d'un fossé. Le souvenir de cette première fraise des bois m'accompagne depuis." Sur la page de gauche à fond mauve apparaît la douce scène familiale, complétée des pieds du souvenir précédent, visibles grâce à la découpe (image du haut).

Il en sera ainsi dans tout l'album où le narrateur raconte, se raconte, bébé, enfant, gamin, ado, jeune homme, adulte, père, grand-père, personne âgée. A chaque âge, un souvenir, petit ou grand, durable ou plus fugitif. On visualise chacun dans une scène campée en quelques traits de couleur sur différents papiers teintés, complétée d'extraits de souvenirs antérieurs visibles grâce aux découpes. Un procédé qui reflète combien la vie est composée d'allers-retours constants. Trente-trois souvenirs se succèdent, en effaçant certains, en réactivant d'autres. Chef-d'œuvre de créativité et de beauté, "Les printemps" est aussi complètement à hauteur d'enfant.

Que de souvenirs lors d'un déménagement. (c) La Partie.



Une forêt au cœur de la ville


On va au parc
Sara Stridsberg
Beatrice Alemagna
traduit du suédois par Jean-Baptiste Coursaud
La Partie, 72 pages
pour tous à partir de 3 ans
octobre

De temps en temps, un album naît de dessins sur lesquels un auteur pose des textes. Beatrice Alemagna l'avait déjà fait dans son magnifique "Adieu Blanche Neige" (La Partie, 2021, lire ici). Elle reprend le procédé dans cet album où elle a composé une série d'images montrant des aires de jeux pour enfants, étonnantes architectures de plein air établies dans les parcs. Ces images tellement représentatives de l'art de Beatrice Alemagna ont été confiées à la grande auteure suédoise Sara Stridsberg qui a composé, sur elles, des textes en forme de déclaration poétique. On se rappellera que l'album avait fait l'objet d'une fresque peinte par Beatrice Alemagna sur les murs de l'Institut suédois de Paris en novembre 2021.

Entre les deux créatrices est née une alchimie narrative et esthétique, perceptible dans l'album. On y suit des enfants, joueurs, explorateurs, admirateurs des arbres et lucides par rapport au peu de place que leur laisse la ville, imaginatifs et un brin philosophes. Marelles, balançoires, portiques à escalader, toboggans et autres engins sont autant de tremplins pour leur imagination. "On ne rentrera plus jamais à la maison!"

Textes et illustrations nous emmènent au cœur de ce parc tant aimé d'eux, si finement observé, nature, habitants, visiteurs, jour, nuit, à la fois refuge et paradis pour les jeunes citadins avides d'espace et d'amitiés.

Un  album magnifique par ses images évocatrices qui vous happent illico et par son texte sobre racontant avec poésie ces enfants et leurs aventures vécues ou rêvées.

Une des aires du jeu du parc. (c) La Partie.



Un lundi buissonnier


Le détour
Rozenn Brécard
La Partie, 72 pages
dès 5 ans
septembre

Dans ce premier album en solo, la Française Rozenn Brécard met en scène les aventures riches et palpitantes tout au long d'un lundi de deux enfants qui ont raté le car de ramassage scolaire. On a bien besoin des 72 pages de cet album bien épais pour suivre les moments successifs de cette journée en dehors de l'école. L'originalité de ce travail est que la narration se déroule principalement dans les images, de très belles gouaches construites avec originalité, présentant par exemple différentes séquences d'une scène dans la même image, complétées de brefs textes.

Dans ce "Détour" bien nommé, on va suivre le frère et la sœur tout au long de la journée. Ils marchent, ils marchent vraiment beaucoup. Ils explorent de tout près leur coin de Bretagne. Ils font des choses extraordinaires comme emprunter une barque, d'autres très ordinaires comme se disputer et se réconcilier. Ecole buissonnière mais journée inoubliable où ils font des rencontres avec des travailleurs et des animaux, où ils s'amusent, où ils goûtent la nature. Une journée de liberté, incroyablement riche d'aventures à l'heure où les enfants sont constamment sous surveillance.

Une journée d'aventures en liberté. (c) La Partie.



Un imagier tout en ronds


Les animaux
Bastien Contraire
La Partie, 24 pages
dès 2 ans
septembre

Crânement intitulé "Les animaux", cet album n'en présente aucun! Enfin, pas de la façon classique, plus ou moins réaliste. Mais il fait mieux. Il les propose de manière symbolique, par un rond de leur couleur légendé de l'espèce animale en question dans une jolie typographie: "le poussin" sous un rond jaune, "le dauphin" sous un rond bleu, "le cochon" sous un rond rose...

Bastien Contraire établit ainsi immédiatement un rapport ludique et complice avec ses jeunes lecteurs. N'a-t-on pas seriné à ces derniers "le cochon rose", "le dauphin bleu", "le poussin jaune"? Ils l'ont bien retenu et, en champions de l'abstraction, deviennent dans cet album inventif, graphique et rigolo, des passeurs de savoir. Ce sont eux qui dégainent des noms d'animaux selon les couleurs. Bien sûr, ils peuvent hésiter entre le cochon et le flamant rose, entre le dauphin et la baleine. Mais comme il n'y a pas de compétition, tout le monde en rigole tout de suite. Epuré et graphique, "Les animaux" est un formidable album de plaisirs à partager entre petits et grands.

Joliment calligraphiés, deux animaux. (c) La Partie.



Choix multiples


Un matin
Jérôme Dubois
Laurie Agusti
La Partie, 96 pages
dès 7 ans
septembre

Inspiré des lectures d'enfance des deux auteurs, cet autre album sur la mémoire, souvenirs de jeux, de peurs, de plaisirs, propose au lecteur des choix  multiples. Par exemple: "visiter le reste de la maison: aller page 6/ aller voir ce qui se passe dehors: aller page 8" et ainsi de suite. Des invitations à avancer ou à reculer dans les pages. Pour que le lecteur s'y sente bien et autonome, il paraît préférable que la lecture soit acquise. 

Dans son lit, un enfant ne reconnaît plus le monde un matin où il se réveille car les couleurs ont disparu, non seulement de sa chambre mais de la ville entière! Il va sortir pour tenter de retrouver ses repères. Ce sont ses souvenirs qu'il va croiser, représentés par des bulles colorées qui vont le guider. Si plusieurs parcours, fort variés, sont possibles dans les pages, ils mènent tous à la même destination, la chambre. Et à une ultime question: rêve ou réalité?

Extrêmement pensé, super bien construit, très agréablement illustré, "Un matin" réjouira les lecteurs capables d'une bonne dose de concentration, indispensable pour circuler entre les consignes proposées.

Première double page, en noir et blanc forcément. (c) La Partie.



Une femme artiste en Suède


L'oiseau en moi vole où il veut
Sara Lundberg
postface d'Alexandra Sundqvist
traduit du suédois par Jean-Baptiste Coursaud 
La Partie, 128 pages
dès 6 ans
avril

"Un récit inspiré des peintures, lettres et journaux intimes de Berta Hansson", glisse l'auteure-illustratrice Sara Lundberg en ouverture de cette superbe fresque biographique consacrée à la peintre suédoise méconnue (1910-1994) et posant toutes les questions relatives à la condition d'artiste pour une femme, et surtout pour une femme née au début du siècle dernier.

Un texte magnifique, vibrant, terriblement émouvant, porté par de superbes illustrations dans différentes gammes chromatiques, nous confie l'itinéraire de l'artiste, enfant résolue à devenir peintre alors qu'elle est fille de fermiers et que la famille est mise à rude épreuve à cause de la tuberculose finalement fatale de la mère. Si Berta est sûre de ses choix de vie, elle a aussi l'espoir que les oiseaux qu'elle sculpte dans la glaise soient magiques et sauvent sa maman à qui elle les offre.

Insensible aux moqueries des enfants à l'école, décidée à ne pas devenir une "femme au foyer" comme ses deux sœurs, la jeune fille trouve un certain soutien chez le médecin, féru d'art, qui soigne sa maman jusqu'à son décès. Sauf que cette disparition le force à s'occuper en priorité des siens. Jusqu'au jour où elle trouvera la force de se révolter, pour ne pas mourir. Déjà comprise par ses sœurs, elle le sera aussi finalement par son père. A ce moment, elle pourra déployer ses ailes de peintre comme les oiseaux qu'elle aime sculpter.

Berta est comprise par sa mère. (c) La Partie.



Amitié et jardinage


Hermelin, Lapin et le potager
Elle van Lieshout
Erik van Os 
Marije Tolman
adapté du néerlandais par Emmanuèle Sandron
La Partie, 40 pages
dès 4 ans
avril 

Album de saison que cette installation d'un potager par les deux amis Hermelin et Lapin. Album ironique quand on voit la répartition des tâches entre les deux voisins et amis. C'est simple, l'hermine Hermelin fait presque tout et Lapin le lapin presque rien. Par exemple, l'un bêche, l'autre sème. La situation deviendra encore plus cocasse à l'arrivée des premières récoltes, très longtemps espérées. Le patient Hermelin attend le lendemain pour en profiter et quand il arrive, tout ce qui était mûr a disparu. La faute à qui? A un coupable gourmand qui ne se dénonce pas. Lapin est vraiment culotté dans cette histoire questionnant les notions de justice et de partage tandis que Hermelin apparaît altruiste et généreux. Un album piquant servi par de charmantes illustrations où les deux héros évoluent sur des décors finement représentés.


Avant, après... (c) La Partie.



Errance dans un port islandais


Une histoire que Saga m'a racontée
Suzanne Arhex
La Partie, 48 pages
dès 4 ans
mars

Dans un port islandais, une petite fille du coin interpelle le lecteur. Saga et lui vont discuter, dialoguer, échanger, s'apprendre des choses. Saga raconte sa vie sur la côte, sa maman qui travaille à l'usine de filets pour la pêche, les découvertes dans les filets, les baleines, hier et aujourd'hui, les icebergs, hier et aujourd'hui... L'air de rien, tout en sautant d'un sujet à un autre comme les enfants excellent à le faire, elle interroge le lecteur sur le choc entre les traditions et le progrès, le réchauffement climatique et les inquiétudes qu'il suscite. Une très belle histoire, présentée de façon originale et pertinente.

L'auteure-illustratrice a imaginé ces conversations pétillantes, posées sur de très belles illustrations en couleurs, riches en détails, lors d'une résidence dans un village de pêcheurs à l'est de l'Islande. 

Voici Saga. (c) La Partie.


Suzanne Arhex a répondu aux questions de sa maison d'édition.

Quel est le point de départ du livre?
J'ai été étudiante Erasmus à Reykjavik. Depuis, je suis régulièrement retournée en Islande pour voyager ou pour des résidences artistiques. Par ces voyages, j'ai écrit et dessiné deux premières sortes de fables, dont le lien est notre relation à l’eau. La première raconte les gestes quotidiens d'une femme de pêcheur dont le mari noyé revient sous la forme d'une vague qui inonde la cabane. Dans la seconde, un enfant collectionne des cailloux piochés près d'un lac où il n'a pas le droit d’aller, parce qu'habité par un monstre – c'est une vraie croyance à l’Est du pays.
"Saga", c'est le dernier volet de cette "trilogie de l'eau". En retournant à l'Est en 2019, je savais que je voulais parler d'un·e enfant qui croit voir une baleine échouée dans un bout d'iceberg. Le reste, c'est venu en traînant dans le fjord et l'usine de filets de pêche du village.

Qui est Saga? Est-ce une petite fille que tu as vraiment rencontrée?
Saga n'existe pas vraiment, mais ses habits, si. "Saga", ça veut dire "histoire" en islandais. Elle est le prétexte à une narration. Elle raconte un tas de choses qui ne sont pas vraiment vraies, on ne sait pas trop où commence le mensonge mais ce n'est pas si important. Elle traine et contemple, elle accueille la personne qui voyage, et la personne qui va lire, tout en vaquant à ses occupations. Elle guette l'horizon à la recherche des baleines dont on lui a tant parlé mais qu'elle n’a jamais vues, dont on ne sait même plus si elles existent vraiment. Pour Saga, la baleine est quasiment un animal fantastique, comme une licorne.

Est-ce que c'était important pour toi d'évoquer le réchauffement climatique à travers le récit de Saga?
Je sais que c'est un sujet omniprésent pour tous, parce que l'Islande fait partie de ces lieux où le changement est déjà visible d'année en année, par la fonte des glaciers qui s'accélère, la neige qui disparait trop tôt des montagnes, l'agriculture qui évolue, la disparition de certaines espèces animales. Ce n'est ni abstrait, ni lointain, c'est un sujet, et pour certains une lutte de chaque instant. Le film "Woman at war" de Benedikt Erlingsson raconte bien cela. C'est une île qui est constamment confrontée à l'incompatibilité entre certaines coutumes ou activités économiques nuisibles pour l'environnement et questionnements écologiques. La chasse à la baleine, par exemple, fait partie de ces sujets qui déchirent le pays.

Moi je voulais parler de l'eau, de la pêche, de cette île, et ça ne pouvait pas aller sans considérer ce sujet je crois, même si le point de départ de mon histoire, c'est vraiment une errance sur un port. 

La question que tout le monde se pose: est-ce que tu en as vu, toi, des baleines?
Des baleines, je n'en ai pas vues. Et tu sais, j'ai cherché! Au prochain voyage, si elles veulent bien, peut-être?
Le port. (c) La Partie.



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