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lundi 13 mars 2023

Les lauréats 2022 de l'Académie belge, l'ARLLFB

Cravaté de jaune, le secrétaire perpétuel Yves Namur distrait les lauréats.
De gauche à droite, Vincent Poth, Florian Pâque, Pascale Tison,
 Veronika Mabardi, Négar Djavadi, Jacques Vandenschrick,
Laurent Gosselin et Jan Baetens.

Quasi tous les finalistes des huit prix littéraires 2022 de l'Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises de Belgique - tous les prix ne sont pas annuels - étaient connus depuis l'automne dernier (lire ici). Ce samedi 11 mars, les lauréats ont été proclamés et leurs prix remis par Yves Namur, secrétaire perpétuel de l'ARLLFB, au cours d'une cérémonie ponctuée de lectures par Stéphanie Moriau. Les gagnants, cinq hommes et trois femmes, ont chaque fois répondu aux questions du jury qui les avait choisis. A noter que les argumentaires complets se trouvent sur le site de l'Académie (ici). On remarquera que plusieurs des primés avaient déjà gravi à d'autres occasions les marches de l'estrade. Une cérémonie qui a commencé avec un ascenseur et s'est terminée sur un escalator.


Palmarès

Grand Prix des Arts du spectacle

Florian Pâque
, né en 1992, pour "Sisyphes" (Lansman Editeur), avec "s" à Sisyphe, un sujet âpre et grave, l'ascenseur social en panne, traité d'une écriture légère. L'animateur de la compagnie Le Théâtre de l'Eclat, auteur, metteur en scène et acteur, avait déjà été distingué par l'Académie en 2021 (lire ici).

L'avis du jury (Luc Dellisse, Paul Emond, Xavier Hanotte, Caroline Lamarche, Nathalie Skowronek): ""Cette histoire est un mythe et tous les mythes s'écrivent au présent", déclare un acteur dans le prologue de la pièce. Particulièrement cruel dans sa vision de la condition humaine, le mythe de Sisyphe permet à Florian Pâque d'évoquer la situation des plus précaires condamnés à ne jamais s'élever dans une société en panne d'ascenseur social. Ce dont se fait l’écho l'absurdité d’une première scène qui reviendra tel un refrain: on a beau pousser sur le bouton d'un étage, à chaque fois qu'on sent monter l'ascenseur, puis que la porte s'ouvre, c'est le rez-de-chaussée qui apparaît. (...)"
Florian Pâque: "Lors d'un atelier dans une résidence à caractère social, j'ai raconté le mythe de Sisyphe. Manon m'a dit: "Mon rocher est dans mes bras. C'est mon enfant." Le thème de ce livre n'était pas prévu au départ. Il s'est imposé lors de l'atelier."

Grand prix de poésie

Jacques Vandenschrick
, né en 1943, pour son recueil de poèmes, "Tant suivre les fuyards" (Cheyne).

L'avis du jury (Éric Brogniet, Philippe Lekeuche, François Emmanuel, Yves Namur, Gabriel Ringlet): "C'est aux flammes de la "fuite" et non à celles de l'"errance" ou de l'"exil", souvent jusqu'ici évoquées, que la parole vient alimenter son feu. La nuance n'est pas mince: la fuite peut être immobile et se loger dans les sinuosités d'une pensée. (...) On sait toute l'importance de la spatialité dans l'œuvre de Vandenschrick, depuis "Vers l'Elégie obscure"  (1987) et "Du pays qui s'éloigne" (1988) jusqu'à ce livre que notre Académie distingue aujourd'hui en même temps que l'œuvre toute entière d'un poète voué pendant 45 ans, dans la discrétion la plus absolue, à une quête où le langage est le véhicule d'une approche de l'Être, mais aussi le révélateur d'une condition existentielle et spirituelle de l'Homme. Les titres de tous ses livres contiennent un marqueur d'écart ou de distance. (...)"
Jacques Vandenschrick: "La langue poétique, l'écriture de poésie, un exercice long pour moi, malaisé, est la recherche d'une langue qui se veut à distance du quotidien. J'essaie de créer une langue de l'utopie, une langue qui introduit l'autre dans l'être. Je réécris plus que je n'écris."

Prix André Gascht

Pascale Tison
, pour l'ensemble de son travail de critique.
Et quel travail! La lauréate est auteure de textes sur le théâtre, l'art et la danse, comédienne, de deux pièces de théâtre, de deux romans, réalisatrice en radio, productrice depuis 1995 de l'émission "Parole donnée" sur Musiq3, enseignante à l'INSAS et à l'IAD, responsable aujourd'hui de la création radiophonique sur la Première et productrice de l'émission quotidienne "Par Ouï-Dire", proposant des documentaires et des créations radiophoniques ainsi que des entretiens. 

L'avis du jury (Michel Brix, André Guyaux, Corinne Hoex, Caroline Lamarche, Yves Namur): "Pascale Tison consacre une émission hebdomadaire à la littérature et a recours, pour faire entendre la langue des auteurs, à nos meilleurs comédiens, comme Jo Deseure ou Angelo Bison, quand elle ne lit pas elle-même de sa voix précise et lumineuse. Elle y rend hommage, avec finesse et un métier très sûr, aux écrivains vivants ou disparus, de sorte que son émission constitue un remarquable trésor d'archives pour nombre d'auteurs, tels Marcel Moreau, Jacques De Decker, Pierre Mertens, Carl Norac, Corinne Hoex, Vinciane Despret, Veronika Mabardi, pour n'en citer que quelques-uns ou quelques-unes. (...) Créatrice tout-terrain, elle a fusionné à merveille son amour de la radio et sa passion pour la littérature."
Pascale Tison: "La radio est une autre forme donnée à l'ego de l'écrivain. La parole va vers le mot et le mot vers la parole. La radio est le garant de l'incandescence de la rencontre, une écoute d'être à être. Elle est l'écriture du réel. Tout se joue au montage. "Par Ouï-Dire" est une émission non filmée, ce qui est un grand avantage. A la radio, on ne cesse de déposer son visage."


Grand prix du roman

Veronika Mabardi
, née en 1962, pour "Sauvage est celui qui se sauve" (Esperluète, 2022, lire ici). Elle avait reçu le prix Georges Vaxelaire 2015 pour sa pièce de théâtre "Loin de Linden" (Lansman Editeur, lire ici).

L'avis du jury (Jean Claude Bologne, Gérard de Cortanze, Luc Dellisse, François Emmanuel, Pierre Mertens, Jean-Luc Outers, Nathalie Skowronek): "Ce livre  a touché et convaincu les jurés du Prix du Roman, par l'intensité de la démarche d'écriture en direction du frère absent, trop tôt disparu. 
Il est rare de ressentir à ce point combien les récits, sollicitant la mémoire, cherchent à cerner, circonvenir, tenter de donner sens, au silence qui fut le sien au temps où il vivait. 
A l'assaut de ce silence le livre avance par saccades, par détours, par saignées de sens, et c'est cette avancée tâtonnante, ce corps à corps de l'autrice avec l'énigme de son frère mort, qui donne à l'écriture du livre sa puissante dimension performative. Comme si le présent de la recherche tentait de rejoindre dans un découvrement progressif, le mouvement, la quête, la ligne brouillée et pour une grande part insaisissable de ce que fut la vie de Shin Do. (...)
Veronika Mabardi: "C'est un livre dont l'écriture reste dans le silence, les mots restent sur la page. Il m'a fallu vingt ans avant de trouver le calme pour l'écrire. J'avais besoin de parler de mon frère disparu, de l'identité, de la famille. La famille bricolée chez nous, fierté de nos parents. J'avais besoin de bricoler des identités. Revenir à son souvenir a été un accompagnement dans l'écriture. Dans le compagnonnage des vivants, pendant le confinement, j'ai eu le sentiment de sa présence. C'est un travail de mémoire et aussi de fiction, une réappropriation. J'ai écrit ce livre en disposant des cailloux sur le plancher de mon atelier, en les déplaçant, en leur ajoutant du bois, du verre, de l'or. Cela a été un travail sur le plancher, sur le papier et sur l'ordinateur.

 

Grand Prix de Linguistique et de Philologie

Laurent Gosselin
, né en 1960, pour "Aspect et formes verbales en français" (Classiques Garnier, 2021).

L'avis du jury (Michel Brix, Anne Carlier, Daniel Droixhe, Jean Klein, Jacques Charles Lemaire): "Laurent Gosselin est professeur à l'Université de Rouen et sa recherche consiste à démêler la complexité sémantique de ce qui est appelé parfois rapidement "les temps verbaux". Les temps ver­baux occupent un rôle central dans la langue, non seulement parce qu'ils per­mettent d'an­crer, dans le monde qui nous envi­ronne, les situa­tions évoquées au moyen des formes verbales, en les situant par rapport au hic et nunc du locuteur, mais aussi parce leur enchaînement dans un texte résulte non pas en une suite décousue d'énoncés, mais permet de construire un récit cohérent doté d'une chronologie."


Prix Découverte

Vincent Poth, né en 1989, pour "Aléas sans amarre. Ou livre de pensées" (aphorismes, inédit, 2022). Une première pour l'ARLLFB qui n'avait encore jamais récompensé de son histoire un livre d'aphorismes.

L'avis du jury (Véronique Bergen, Éric Brogniet, Philippe Lekeuche, Yves Namur, Gabriel Ringlet): "Vincent Poth est essentiellement poète. Il a commencé à écrire de la poésie il y a une dizaine d'années dès l'âge de 23 ans. (...) Le livre qui se voit honoré aujourd'hui est un ensemble d'aphorismes, le tout formant un volume d'une centaine de pages. Vincent Poth y évoque les thèmes de l'amour, de la destinée, de la création poétique, ses aphorismes circulant à travers les différentes dimensions de la condition humaine. Le jury a été très sensible au style, à l'écriture élégante voire classique, à la profondeur et à la finesse des pensées qui se trouvent formulées avec une grande exigence et une rigueur d'écriture remarquable. (...)"
Vincent Poth: "Poète, je suis passé aux aphorismes. Pourquoi? J'avais besoin d'écrire des choses claires et compréhensibles. J'étais fatigué de patauger dans la poésie. J'ai lu beaucoup d'aphorismes. J'ai écrit les miens dans le sillage de la joie de certains auteurs. C'est plus clair maintenant, je suis content. La poésie vient des profondeurs vers la surface, l'aphorisme vient de la surface et creuse en profondeur."

 

Grand Prix de l'essai

Jan Baetens
 pour "Illustrer Proust. Histoire d'un défi" (Les Impressions nouvelles, 2022).

L'avis du jury (Danielle Bajomée, Sophie Basch, Véronique Bergen, Luc Dellisse, Gabriel Ringlet): "Cet ouvrage à l'iconographie abondante examine les réponses successives données par les artistes et leurs éditeurs au désir et à la difficulté d'illustrer Marcel Proust, depuis plus d'un siècle. Il en retrace l'histoire, du premier livre de Proust, "Les Plaisirs et les jours" (1896), illustré par Madeleine Lemaire, un des modèles de Mme Verdurin, à la nouvelle édition d’"Un amour de Swann", "ornée" par Pierre Alechinsky en 2013.
Le jury a été particulièrement sensible à l'importance de la recherche, à la qualité de la réflexion et surtout, à l'originalité du point de vue choisi pour aborder l'œuvre de Marcel Proust dans sa radicalité poétique qui la rend "impossible" à illustrer tout en provoquant sans cesse le désir de le faire. (...)"
Jan Baetens: "Neuf fois sur dix, les livres illustrant Proust sont atroces. Ils sont totalement inconnus, heureusement. Le rapport texte-images n'est pas essentiel ici. J'ai plutôt regardé du côté du business éditorial. Qui? Pourquoi? Avec quelle concurrence? Les images vieillottes de van Dongen de l'édition de 1947 ont été reprises en 1972 par Folio parce que le graphiste Massin voulait montrer que Folio pouvait faire autre chose que du livre de poche. Le livre de poche a lui publié en 1965 une version illustrée par sept images de Pierre Faucheux. Pour moi, la meilleure façon de rendre hommage à Proust est de faire quelque chose de complètement différent." 


Prix Nessim Habif

Négar Djavadi
, née en Iran en 1969, pour l'ensemble de son œuvre (son premier roman "Désorientale", Liana Levi, 2016, lire ici; "Arène", Liana Levi, 2020).

On se rappellera que "Désorientale" commence par une scène d'escalator d'anthologie.
Pour lire en ligne le début de "Désorientale", c'est ici.
Pour lire en ligne le début de "Arène", c'est ici.



L'avis du jury (Corinne Hoex, Caroline Lamarche, Pierre Mertens, Jean-Luc Outers, Nathalie Skowronek): " (...) S'inspirant en partie du parcours de son auteure, "Désorientale", paru en 2016, raconte la saga d'une famille d'intellectuels iraniens sur trois générations. Il rencontre un grand succès critique et de librairie et sera traduit dans une dizaine de langues. Alors une question s'impose: pourquoi y revenir aujourd'hui, six ans plus tard? Parce que "Désorientale" nous fournit un formidable et nécessaire témoignage sur la résistance iranienne. D'abord au régime du Shah, ensuite à Khomeiny, par extension à ce que traverse le pays depuis de nombreux mois. Et qu'est-ce que la littérature si elle passe à côté de son temps? Négar Djavadi nous restitue un Iran des années 70 où l'on rêve de "corps SophiaLorenti" et de "cheveux coupés à la mode NathalieWoodi", où l'on a peur, où l'on se cache. En d'autres mots, la liberté qui a été enlevée aux Iraniens et pour laquelle ils se battent encore aujourd’hui. Hommes et femmes côte à côte. À qui nous voulions aussi, avec nos moyens, envoyer un signe de solidarité et de fraternité. (...)"

Négar Djavadi: "La révolution d'hier est restée en suspens, inachevée. Les révoltes écrasées de 2009, 2010, 2019 montrent la continuité entre le passé le présent. Aujourd'hui, les réseaux sociaux permettent de comprendre ce qui se passe en Iran sans devoir tout expliquer. Le téléphone portable est une arme mais il faut savoir l'utiliser.
A propos de l'identité: l'homme n'a pas de place définie sur terre. J'ai des racines mais je ne me sens pas un arbre. En tant qu'écrivain, je me mets dans la tête des autres. J'aime mieux parler d'appartenance que d'identité. 
Quelle suite? Je ne me sens pas missionnée en tant qu'Iranienne installée à Paris depuis 1980. Si j'ai un attachement très fort au réel, je ne me sens pas nécessairement dépositaire de la voix iranienne."

Nathalie Skowronek, porte-parole du jury Nessim Habif: "La littérature donne une voix au réel, elle l'absorbe."










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