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mardi 24 décembre 2024

Sous le sapin, un trio féminin


Trois romans de femmes, trois récits romancés, trois bonheurs de lecture.


Amélie Nothomb. (c) Charlotte Abramow.
Évoquer Amélie Nothomb, c'est illico penser champagne. Ou Japon, pays qui pulse dans les veines de la romancière belge qui y a passé sa petite enfance, dans le sillage de son père diplomate, et s'est longtemps considérée comme Japonaise. En raison de ses premiers succès littéraires sans doute et de son attrait pour Paris, elle y est finalement peu retournée. Une fois en 1987, jeune adulte de 21 ans, pour y travailler. Une expérience qui donnera deux romans, "Stupeur et Tremblements" (1999) et "Ni d'Ève ni d'Adam" (2007). Elle s'y rendra encore en 2012 pour un tournage avec une équipe de télévision, évoquée dans "La nostalgie heureuse" (2013,  lire ici). Elle reviendra sur son enfance en Asie dans "Psychopompe" (2023).
 
Le grand saut, elle le fait cette année avec "L'impossible retour" (Albin Michel, 162 pages), le récit romancé d'un voyage au Japon qu'elle a effectué du 20 au 31 mai 2023 avec son amie photographe Peb Beni, à la demande de celle-ci. Il s'agit de son trente-troisième livre publié (bibliographie en fin de note) même si elle a terminé d'écrire le cent-dixième - on sait qu'elle écrit trois romans par an mais n'en propose qu'un à son éditeur, Francis Esménard, celui qui a fait d'elle en 1992 une primo-romancière.
 
"L'impossible retour", dont la quatrième de couverture annonce crânement "Tout retour est impossible, l'amour le plus absolu n'en donne pas la clef". Alors? Alors, on fait un magnifique voyage-découverte du Japon en compagnie des deux amies dont les dialogues s'avèrent extrêmement savoureux. Qu'elles discutent, se disputent, se promènent, boivent, mangent, sortent. Surtout, on plonge dans le cerveau et le cœur de la narratrice dans ce texte touchant écrit à la première personne. Ce retour au pays, non pas natal, elle est née à Bruxelles, mais presque, et bien sûr idéalisé, vibre de toutes les émotions qu'il déclenche, ravive tant de souvenirs. La langue japonaise, les endroits visités en compagnie de son père, les usages des lieux... Il est aussi la source de mille questions auxquelles il est répondu. Il y a de la nostalgie bien entendu mais aussi une folle énergie dans ce prenant roman au ton enlevé et au vocabulaire choisi, comme toujours chez Amélie Nothomb.

Pour lire en ligne le début de "L'impossible retour", c'est ici


Le selfie de la cinquantaine.
Dès le titre, "Mes enfants sont partis" (Grasset, 162 pages), Julie Bonnie annonce la couleur. Son récit romancé débute toutefois quelques mois plus tôt, le soir de la fête de ses cinquante ans qui a réuni famille et amis. "Je me suis couchée soûle et heureuse, contre Nicolas, prête à en découdre avec la cinquantaine. (...) Puis je me suis réveillée." 
 
Et puis, celle qui a mené de front, et tambour battant, sa carrière de rockeuse et de jeune maman, de travailleuse en maternité et de chanteuse, plus récemment, de romancière - elle en est à son septième livre en littérature générale (lire ici), toujours épaulée par son amoureux Nicolas, doit affronter l'inimaginable pour elle, le départ du nid pour leurs études de ses deux enfants. Très vite l'un après l'autre. La même semaine. Emile en grande banlieue, Rose, 28 ans, à Bruxelles. "Depuis que je sais qu'ils doivent partir, je suis affolée. Je ne me reconnais plus. Les nuits sont blanches, emplies de cauchemars [ménagers]. Je n'ai pas eu le temps de me préparer à ce moment, je ne l'ai pas vu venir. Ou plutôt, je n'en avais pas du tout mesuré l'importance."

Avec une sincérité totale, l'auteure rapporte cette nouvelle situation, comment les détails pratiques, dont ce fameux paillasson, menacent de l'égarer, elle que sa gynécologue a déjà ébranlée par ses propos sur sa prochaine ménopause. C'est à la fois déchirant et drôle, dramatiquement drôle. Jamais pleurnichard ou mièvre. Au contraire, à l'occasion de cet événement majeur de la vie des femmes, des "vieilles", Julie Bonnie parcourt son chemin de vie personnel, entre la musique, le couple et la maternité. Elle détaille minutieusement ces premiers mois sans enfants à la maison. D'une écriture variée. Avec leurs hauts et leurs bas, mais toujours avec Nicolas. On s'y reconnaît bien entendu. Quel miroir empathique. Mais la romancière enlève le jeu et fait œuvre littéraire en parsemant son récit d'inattendus portraits de femmes du même âge.

Pour lire en ligne le début de "Mes enfants sont partis", c'est ici. 


Julia Deck. (c) Hélène Bamberger.
Avec son sixième roman,  le très prenant "Ann d'Angleterre" (Seuil, 252 pages), Julia Deck ose se lancer dans le roman autobiographique. A la première personne mais à sa manière. Percutante. Après s'être sûrement interrogée mille fois. En réussissant à faire une histoire universelle de la vie peu commune de sa mère. Une jeune Anglaise qui a bourlingué et s'est installée en France. Qui élèvera sa fille dans les deux langues. Qui n'en fera jamais qu'à sa tête, avec une incroyable exigence pour elle et pour les autres. Une force de la nature.

C'est cette femme forte que la narratrice retrouvera à terre dans son appartement parisien en avril 2022, victime d'un accident cérébral. Premiers remords: pourquoi l'a-t-elle quittée si vite la veille? Le premier miracle est qu'Ann, 85 ans, soit toujours vivante, le deuxième qu'elle survive dans les conditions qui lui sont imposées par la médecine d'urgence française. Par la médecine d'urgence pour les personnes âgées, devrait-on dire. Le troisième que la patiente déjoue petit à petit tous les diagnostics. Non, elle ne mourra pas là. Même si elle l'exige, elle ne pourra toutefois plus vivre seule. Et sa fille unique d'entamer un long slalom entre divers établissements de soins. Avec la lumière en bout de piste.

Ce pourrait être un récit glauque, ce ne l'est pas du tout même si on est ébranlé par ce qu'on lit. Mais Julia Deck manie habilement l'humour british à propos de ses inquiétudes, de ses questionnements et de ses colères légitimes. Elle fait le choix de la vérité, de la sincérité. Elle ne cache rien de ses regrets ou de ses interrogations. Elle se montre à nu, ennuyée parfois, fort dévouée et très lucide. L'air de rien, elle témoigne de l'état inquiétant de la santé publique hexagonale. En filigrane constant se glisse son amour pour sa mère, son admiration pour celle qui lui a donné la vie. 
 
Les étapes du parcours médical d'Ann sont ponctuées d'éléments de son histoire, petite fille née dans une famille ouvrière anglaise. Jeune femme passionnée de littérature qui s'est élevée socialement, à la joie de sa propre mère, et est venue habiter en France. Une femme volontaire qui n'a peut-être jamais tout dit d'elle-même. Quand Julia décèle une étrangeté dans les rapports qu'Ann entretient avec sa famille d'Angleterre, elle comprend qu'elle a toujours vécu à côté d'un secret. Un énorme secret peut-être, au sujet duquel sa mère grandement atteinte par son AVC lui glisse cependant certains indices. Quel destin et quelle force dans cette "Ann d'Angleterre" que Julia Deck nous présente dans un texte splendidement construit qui suscite l'admiration et ravit.

Pour lire en ligne un extrait de "Ann d'Angleterre", c'est ici.




La bibliographie d'Amélie Nothomb 

  • 1992 "Hygiène de l'assassin", Prix René Fallet
  • 1993 "Le Sabotage amoureux", Prix de la Vocation / Prix Alain-Fournier / Prix Chardonne
  • 1994 "Les Combustibles"
  • 1995 "Les Catilinaires", Prix du Jury Jean Giono
  • 1996 "Péplum"
  • 1997 "Attentat"
  • 1998 "Mercure"
  • 1999 "Stupeur et tremblements", Grand Prix du roman de l'Académie française
  • 2000 "Métaphysique des tubes"
  • 2001 "Cosmétique de l'ennemi"
  • 2002 "Robert des noms propres"
  • 2003" Antéchrista"
  • 2004 "Biographie de la faim" 
  • 2005 "Acide sulfurique"
  • 2006 "Journal d'Hirondelle"
  • 2007 "Ni d'Ève ni d'Adam", Prix de Flore
  • 2008  "Le Fait du prince", Grand Prix Jean Giono pour l'ensemble de son œuvre
  • 2009 "Le Voyage d'hiver"
  • 2010 "Une forme de vie"
  • 2011 "Tuer le père"
  • 2012 "Barbe Bleue"
  • 2013 "La nostalgie heureuse" (lire ici)
  • 2014 "Pétronille" (lire ici)
  • 2015 "Le crime du Comte Neville" (lire ici)
  • 2016 "Riquet à la houppe"
  • 2017 "Frappe-toi le cœur" (lire ici)
  • 2018 "Les prénoms épicènes" (lire ici)
  • 2019 "Soif"
  • 2020 "Les aérostats" (lire ici)
  • 2021 "Premier sang", prix Renaudot (lire ici)
  • 2022 "Le livre des sœurs" (lire ici)
  • 2023 "Psychopompe"

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