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Première page de "Un père". (c) Casterman. |
Personne n'a oublié "Le petit frère", la bande dessinée que JeanLouis Tripp a consacrée il y a trois ans à son petit frère mort à cause d'un chauffard (lire ici). Pendant qu'il la réalisait, sa petite sœur Cécile a admiré la façon dont il dessinait "le regard triste et perdu de Papa". Elle, née trois ans après la mort de Gilles, a ajouté qu'elle avait toujours connu leur père ainsi. Cela a créé un déclic chez le dessinateur français. Il allait faire un album sur lui. Sur cet homme qui n'avait pas été que perdu et triste. "Un père" (Casterman, 360 pages) est un nouvel album introspectif qui touche au cœur et résonne profondément. On y découvre un amour infini même si pas toujours commode, des choix de vie et d'éducation, une époque pas si lointaine en années mais qui paraît tellement dépassée aujourd'hui. Alors que JeanLouisTripp est né en 1958.
"Comment je définirais mon père en un seul mot? Complexe", me répond
JeanLouisTripp.
"Créer ce livre a été intense mais maintenant qu'il est là, je suis
tranquille. Le déclencheur a été le commentaire de ma petite sœur. J'ai voulu raconter mon père tel je l'ai eu. J'ai réalisé que j'avais été
fils unique pendant quatre ans et demi. Comme mes frères étaient
plus petits, jusqu'à mes huit-neuf ans, j'ai été seul avec mon père. Notamment pour
aller skier."
Quand l'enfant unique perd son statut, moment qui correspond aux tensions
extrêmes entre ses parents, il choisit de prendre ses distances.
"J'ai peu vécu avec mes frères. À douze ans, je n'étais plus qu'à mi-temps à
la maison. À quatorze ans, c'était mon départ définitif."
Tripp raconte cette
famille, la sienne, très engagée à gauche. "Les souvenirs étaient là", dit-il.
"Je n'ai pas fait appel à ma mère contrairement à ce que j'avais fait pour
"Petit frère". J'y ai fait une sélection de qui faisait sens pour moi: ma
relation avec mon père. J'ai découvert que j'avais une bonne mémoire en
faisant ces deux livres. Je me connecte aux émotions que j'ai eues en
vivant telle ou telle chose. J'espère qu'en partageant ces émotions, le
lecteur puisse se les approprier, s'identifier, résonner. Je pense que les
choses plus personnelles ont une résonance universelle. Que ce soit la sexualité,
le deuil, le frère, présent ou absent, le père."
L'auteur a raison. Les pages d'"Un père" amènent à se questionner sur sa propre vie. Il y a des similitudes, des discordances, des espoirs, des regrets. Des interrogations et des réflexions. Lui a vécu avec son père dans un monde différent. "Le monde a changé. La vision qu'on avait avant de l'avenir a été bouleversée. Mon père était persuadé que le communisme utopique, ce joyeux optimisme, allait gagner. Aujourd'hui, le point positif est le mouvement metoo. Dans un prochain album, je montrerai que je viens d'une autre époque et comment je me suis adapté. J'ai été préparé par mon enfance, avec des parents féministes pour leur temps. Mon grand-père maternel voulait que ses filles soient autonomes. Même s'il a obligé ma mère à être institutrice. Ma mère m’a appris à être autonome, à ne pas attendre d'une femme qu'elle fasse les tâches de la maison. Je n'ai jamais attendu quelqu'un me fasse un repas."
Hommage autant que témoignage filial, l'album
"est un livre de transmission. Mes valeurs viennent de mes parents qui
étaient de gauche et humanistes. Mon père m'a initié au bricolage même s'il
ressemblait alors parfois à Jacques Tati. Mon frère et moi n'avons pas vécu
la même chose. Mais nous avons bénéficié d'une liberté extraordinaire. Les
parents ne s'occupaient pas de nous. Ils avaient confiance en nous. Prenons
la scène du bivouac dans la montagne avec mon cousin. Elle m'a été un moment
fondateur de l'estime de soi: j'ai douze ans et je suis capable de faire ça!
Cela a été comme un rite initiatique. Aujourd'hui, il n'y a plus de rite de
passage dans nos sociétés."
Plein d'anecdotes dont certaines sont très drôles, "Un père" fait le portrait d'une époque, à la fois dans le côté visuel
qui fera tilt dans la mémoire de tous ceux qui ne sont plus tout jeunes, dans
les rapports parents-enfants, dans la géopolitique de l'autre côté du rideau
de fer. "Tous ces souvenirs montrent la richesse de l'expérience que nous
avons vécue avec mon père. Nous avons été à Oradour-sur-Glane, à Dachau,
à Check-Point Charlie. On est né treize ans après la guerre. On a aussi fait
les châteaux de la Loire, on a visité des ruines romaines. On a écumé la
France."
Aussi créé sur un iPad, l'album fait écho au "Petit frère": "J'ai utilisé la même couleur sépia mais, cette fois-ci, le papier est blanc. Il y a
un film jaune ou bleu pour donner une lumière passée et ensoleillée. Il y a
davantage de couleur ici. La couleur est narrative, ce n'est pas du coloriage.
Pour moi, à chaque endroit, la couleur dit quelque chose." Lisez ce "Père", témoignage d'engagements.
JeanLouis Tripp sera en
dédicace au BD Comic Strip Festival de Bruxelles (Gare Maritime), au stand
Casterman, ce vendredi 26 septembre de 13 à 15 heures et le samedi 27
septembre de 14 à 16 heures.
Pour feuilleter en ligne les premières pages de
"Un père", c'est
ici.
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