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jeudi 19 septembre 2013

LA le Goncourt en poche

Ben oui, le Goncourt 2012,
le tenant du titre jusqu'au
4 novembre 2013.
C'est-à-dire le magnifique roman de Jérôme Ferrari, "Le sermon sur la chute de Rome" (Actes Sud, Babel, 208 p.), son sixième, sur l'aveuglement des passions humaines, qui vient de passer en poche, un an après sa sortie.

Il gravite autour du bar d'un petit village corse, sur lequel vont fondre moult calamités dès le départ de sa serveuse, "comme la malédiction divine sur l'Egypte". Jérôme Ferrari use d'une langue magnifique pour mettre en scène ses personnages. Matthieu, le Parisien qui a passé ses vacances d’enfant et d'ado dans l'île de Beauté, et Libero, le onzième et dernier enfant d'une famille insulaire. Les amis de vacances et d'enfance étudient, grandis, la philosophie à Paris. Libero s'intéresse à Augustin (celui du sermon sur la chute de Rome), Matthieu préfère Leibniz.

Tous deux sont d’accord de quitter la capitale française et d'abandonner leurs études pour reprendre le bar du village, celui que la serveuse a déserté et que les repreneurs successifs ont échoué à ranimer. Ils ne s'en sortiront pas mieux. La chute de leur entreprise sera à la hauteur des espoirs qu'ils y avaient placés. Au début, écrit Jérôme Ferrari, "ils étaient les maîtres d'un monde parfait, un pays béni, ruisselant de lait et de miel". A la fin, ce sera un désastre. "A nouveau, le monde était vaincu par les ténèbres et il n'en resterait rien, pas un seul vestige." Entre les deux, des secrets enfouis qui reviennent au jour.

Jérôme Ferrari aime ciseler son texte: peu de dialogues, guère de paragraphes. Mais on ne se perd jamais dans son récit tant les longues phrases bien balancées coulent naturellement. L'écrivain scrute la noirceur du monde, gratte là où cela fait mal, met en évidence les stupidités, démonte l'échec des plus grands rêves. En témoignent les souffrances des personnages empêtrés dans leurs familles. Son écriture somptueuse fait s'imbriquer les époques. Augustin est là, aujourd'hui, à moins que ce ne soient Matthieu et Libero qui sont dans la Rome antique…

La construction du roman, écrit à Ajaccio, est superbe dans son ensemble, et les pages que l'auteur consacre à la vie en Algérie de Marcel, le grand-père du Matthieu actuel, né souffreteux des retrouvailles de ses parents après la guerre 14-18, comme déjà condamné par l'existence, sont époustouflantes. Celles sur Jeanne-Marie également, sœur de Marcel et épouse d'André Degorce, déjà croisé dans le livre précédent, "Où j'ai laissé mon âme" (Actes Sud, 2011). Tant d'insulaires qui rêvent d'évasion et reviennent ensuite au village ruminer leurs échecs. Jean-Baptiste, un autre de la fratrie, a tenté l'Indochine. Aurélie, la sœur de Matthieu, va d'un chantier de fouilles à un autre, retrouvant des lieux où Augustin est passé. Annie, une des serveuses, accueille les hommes de caresses peu équivoques…

Trouver sa place dans le meilleur des mondes possibles semble le moteur de ce petit monde qui se lance pour regagner ensuite celui auquel il appartient. "Le monde ne souffrait pas de la présence de corps étrangers mais de son pourrissement interne", écrit encore Ferrari qui demande comme Augustin : "Depuis quand crois-tu que les hommes ont le pouvoir de bâtir des choses éternelles ?" Le temps de son roman, peut-être. Un roman de rêves et de douleurs, de passions et de désillusions, proche du mythe. Un roman qui a été élu par le jury du prix Goncourt 2012 au deuxième tour de scrutin.

L’arrivée de Jérôme Ferrari chez Drouant.
Les débuts du nouveau lauréat dans la sphère des médias.




Promesse tenue

" Si je suis à Paris le 7 novembre, vous aurez mon interview - ou mes larmes!", me disait par mail, il y a environ un an, Jérôme Ferrari que je félicitais pour sa présélection dans le Goncourt. Bigre, il s'agissait de l'attraper en ce jour de course folle. Le romancier enseigne en effet la philosophie au Lycée français Louis Massignon d’Abou Dhabi. Il était arrivé tôt matin à Paris après avoir embarqué tard la veille. Il avait filé chez Drouant rencontrer les jurés, subir un premier bain de presse, faire semblant de déjeuner.

Intuition. Je compose son numéro de portable. "Allo", me répond-il du taxi qui l'emmène de chez Drouant à une bonne série d’autres rendez-vous. Il paraît enchanté mais un peu sonné. "Quel stress durant toute la matinée, je n'étais pas très serein! Et quelle chute de tension à l'annonce du résultat! Mais ce n'était rien par rapport à l'arrivée chez Drouant! La réalité n'est pas imaginable, tant qu'on ne l'a pas vue. C'est une cohue comme je n'en avais jamais rencontrée, même pas dans un souk!"

S'en rappelle-t-on aujourd'hui? C'était aussi le jour où est passé Barack Obama : "On va moins parler du Goncourt que de l'élection américaine mais je suis bien content de bénéficier d'un effet Obama! Un effet Romney aurait été plus difficile à admettre."

Là, il sort incrédule d’une conversation avec les jurés du prix Goncourt : "On a parlé du livre, on a parlé des Emirats. Ils ont su rendre la conversation courtoise et naturelle, agréable, dans une telle situation de stress."
Les photos en témoignent.


Son portable n'a pas arrêté de sonner. Au milieu de l'après-midi, il avait déjà 126 SMS dans son téléphone, sans compter les mails auxquels il n'a pas encore eu accès. Il faut dire que le Goncourt, il n'y croyait pas. "Je suis très mauvais en pressentiments", avoue celui qui n'aime pas qu'on le présente comme un philosophe: "Je n'ai rien écrit en philosophie. Je suis professeur de philosophie et romancier. L'écriture du roman a été déclenchée par la lecture de saint Augustin et la perception que son sermon pouvait porter un projet romanesque."


A noter que la collection Babel, les poches d'Actes Sud, fait aussi sa (très belle) rentrée littéraire avec la sortie de vingt titres ces jours-ci et une couverture graphiquement renouvelée.
- Jérôme Ferrari, "Le sermon sur la chute de Rome"
- Lyonel Trouillot, "La belle amour  humaine"
- Claro, "CosmoZ"
- Raphaël Jérulsamy, "Sauver Mozart"
- Sylvain Coher, "Carénage"
- Denis Lachaud, "J'apprends l'hébreu"
- Sébastien Lapaque, "La convergence des alizés"
- Caroline Lunoir, "La faute de goût"
- Arnaud Rykner, "Le wagon"
- Ahmed Kalouaz, "Une étoile aux chevaux noirs"
- Mathieu Larnaudie, "Les effondrés"
- Nancy Huston, "Reflets dans un  œil d'homme
- Elias Khoury, "Yalo"
- Juli Zeh, "L'ultime question"
- Alain Claude Sulzer, "Une autre époque"
- Russell Banks, "Lointains souvenirs de la peau"
- Maxim Leo, "Histoire d'un Allemand de l'Est"
- David Van Reybrouck, "Le fléau"
- Vassili Peskov, "Des nouvelles d'Agafia, ermite dans la taïga"
- Joël de Rosnay, "Surfer la vie"

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