Mustapha Tlili. |
Bizarrerie des choses: c'est en rentrant de Paris où j'avais assisté au brillant colloque sur Alain Nadaud (lire ici), écrivain français ayant longtemps vécu en Tunisie, que j'ai appris le décès de l'écrivain tunisien Mustapha Tlili, ce vendredi 20 octobre 2017, trois jours après qu'il ait fêté ses 80 ans. Son éditeur a annoncé la triste nouvelle et a précisé qu'il avait fêté, il y a seulement 3 jours, ses 80 ans.
"Romancier de l'exil, son œuvre se caractérise par une triple culture", écrit à son propos l'éditeur tunisien Faouzi Daldoul (Elyzad), "la culture maternelle tunisienne, la culture française dont il nourrit son écriture et la culture américaine, notamment celle de New York où il a longtemps travaillé comme fonctionnaire des Nations Unies."
Mustapha Tlili était un romancier aussi fort que rare. Il fut publié dès 1975 dans la collection Blanche de Gallimard. Il fut aussi journaliste politique à "Jeune Afrique" à Paris, puis fonctionnaire à l'ONU à New York. Il avait fondé le "Center for Dialogue" à l'université de New York. Il avait aussi publié de nombreuses analyses politiques dans le "New York Times".
L'écrivain était surtout connu pour son son quatrième roman, "La Montagne du lion" (Gallimard, 1988) qui fut interdit en Tunisie. Il entra chez Gallimard en 1975 avec "La rage aux tripes". Suivirent "Le bruit dort" (Gallimard, 1978), "Gloire des sables" (Jean-Jacques Pauvert-Alésia, 1982, repris en Folio en 1987. En 2008, était sorti, toujours chez Gallimard, le magnifique roman "Un après-midi dans le désert". Il a aussi participé à l'ouvrage collectif "Pour Nelson Mandela" (Gallimard, 1986).
"Un après-midi dans le désert" (Gallimard, 270 pages), que j'avais lu à sa sortie et qui m'a fait découvrir l'écrivain aux trois cultures, m'avait complètement épatée. Voilà ce que j'en écrivais à l'époque (et je le pense toujours).
Avec une infinie douceur, Mustapha Tlili conte dans "Un après-midi dans le désert" les histoires du passé d'un petit village d"Afrique du Nord aujourd'hui complètement délabré.
En refermant le superbe roman qu'est "Un après-midi dans le désert", dernier titre de Mustapha Tlili, on se dit que ses livres sont vraiment trop rares – une petite demi-douzaine seulement depuis son premier, "La rage aux tripes", paru en 1975. Sa manière de raconter les choses, lentement, en recourant sans hésiter aux répétitions, rappelle les origines de l'écrivain tunisien, né en 1937 et aujourd'hui expatrié. Après des études de philosophie à Paris, il a filé à New York où il a été fonctionnaire aux Nations-Unies entre 1967 et 1980. Il y réside toujours après un retour à Paris en 1982.
Si certains des précédents romans de Mustapha Tlili avaient pour cadre une Algérie non nommée, fruits de l'époque où l'auteur étudiait à la Sorbonne, celui-ci se déroule dans le pays natal de l'écrivain, non explicitement désigné – les allusions à l'ancien Président, à celui qui l'a remplacé, aux "plaisirs fins des caves" de ce dernier, au Délégué actuel et à "l’arbitraire révoltant de ses policiers" suffisent. On était encore au temps de Ben Ali, je le rappelle.
"Un après-midi dans le désert" débute un après-midi de juillet 1992. On y retrouve des personnages rencontrés dans "La Montagne du lion". Une lettre arrive, longtemps après son envoi, dans un petit village délabré de la Montagne du Lion. Le facteur saute de joie: comme il le pensait, "Petit-Frère", le fils cadet d'Horïa, son ami d'enfance, est toujours vivant! Il a reconnu à la seconde son écriture, enseignée par leur instituteur juif allemand, M. Bermann. Cette missive inattendue et les autres lettres du courrier servent à présenter ceux qui habitent encore ce bled, déserté par sa jeunesse partie en Europe. "Là où autrefois il y avait des gens qui aimaient et haïssaient (…) là où il y avait vie et rêves de vie, il n'y avait plus maintenant que vide et dévastation."
Puis Sam le facteur remonte une génération: le "temps des Français" et la "grande catastrophe". S'éveillent alors une multitude de personnages dont on découvre à petites touches les personnalités, des Français et des gens du cru. Quel rendu! Leurs destins bâtissent ce très beau roman, répétant certains éléments sans que ce soit gênant. L'école et son instituteur dévoué, qui ne mégote pas sa peine pour que ses élèves soient reçus aux concours qu'ils présentent. L'hôtel des Peupliers que Mathilde Garnier reprend seule à son veuvage, aidée ensuite par Hafnawi, un jeune Bédouin rescapé d'une famine. L'infirmerie et son médecin généreux. Au village, l'imam, le tanneur aux trois épouses, le grossiste en blé, le garagiste et son épouse Aïcha, Horïa dont les ancêtres étaient venus d’Andalousie et ses deux fils…
Tout un petit monde vit et aime, au mépris des convenances, dans ce roman orchestré comme un conte oral. Avec une délicatesse infinie, Mustapha Tlili montre le basculement d'un lieu d’une époque à une autre, réfléchit au temps qui passe et aux destins qui se jouent.
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