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vendredi 30 novembre 2012

LA adoré lire Donald Ray Pollock

"Le Diable, tout le temps" est le premier roman de l'Américain Donald Ray Pollock (traduit de l'américain par Christophe Mercier, Albin Michel, collection "Terres d'Amérique", 370 pages). Sorti au début de l'année, il scrute la noirceur humaine la plus atroce sans rien de gratuit. L'histoire est époustouflante mais surtout, on sort complètement remué de la lecture de ce livre qui couvre vingt années des Etats-Unis, à partir de 1945 et du retour chez lui d'un Marine revenu du Pacifique. Une claque salutaire.
Au "Soir", on avait sélectionné ce roman au début de l'été et ses inévitables conseils de lecture comme un de nos "coups de cœur" (dans un choix de douze).

"Le Diable, tout le temps" vient d'être désigné "meilleur livre de l'année" par le magazine "Lire".
Bon choix (cette fois, disent les mauvaises langues).
Non seulement j'avais adoré le livre mais j'avais rencontré l'auteur, invité au Festival Etonnants Voyageurs à Saint-Malo (lire ci-dessous après la suite du palmarès).

Les autres lauréats du mensuel sont (attention, il y a vingt catégories en tout):

Roman français: "La vérité sur l'affaire Harry Quebert", de Joël Dicker (de Fallois/L'âge d'homme); un choix très discuté, comme les autres lauriers de ce titre, mais qui fera plaisir à une personne au moins.
Roman étranger: "Dans la grande nuit des temps", d'Antonio Munoz Molina (Seuil)
Roman policier: "Mapuche", de Caryl Ferey (Gallimard)
Essai: "Les gauches françaises/1762-2012. Histoire, politique et imaginaire", de Jacques Julliard (Flammarion)
Découverte roman étranger: "Certaines n'avaient jamais vu la mer", de Julie Otsuka (Phébus); oui oui oui
Autobiographie: "La nacre et le rocher", de Robert Misrahi (Encre marine)
Biographie d'écrivain: "Chateaubriand", de Jean-Claude Berchet (Gallimard)
Histoire: "Congo. Une histoire", de David Van Reybrouck (Actes Sud); un Belge!
Classique/Redécouverte: "Autobiographie", de Mark Twain (Tristam)
Premier roman étranger: "Un concours de circonstances", d'Amy Waldman (L'Olivier)
Sortis du purgatoire: "Joyeux, fais ton fourbi", de Julien Blanc (Finitude)
Livre audio: "Les mémoires d'outre-tombe", de F.-R. de Chateaubriand, par Daniel Mesguich, (Frémeaux & Associés)
Découverte - roman français: "Quel trésor!", de Gaspard-Marie Janvier (Fayard)
Nouvelles Etranger: "Le lanceur de couteaux", de Steven Milhauser (Albin Michel)
Premier roman français: "Les Sauvages", t.1 et t.2, de Sabri Louatha (Flammarion)
Jeunesse: "Les trois vies d'Antoine Anarchasis", d'Alex Cousseau (Rouergue)
BD: "Un printemps à Tchernobyl", d'Emmanuel Lepage (Futuropolis)
Sport: "Anquetil tout seul", de Paul Fournel (Seuil)
Science: "Dans le secret des êtres vivants", de Nicole Le Douarin (Robert Laffont)


Donald Ray Pollock chez lui. (c) Patsy Pollock.

Retour, comme annoncé, au livre et aux mots de Donald Ray Pollock.
Premier roman, "Le Diable, tout le temps" vient après un recueil de nouvelles, déjà sombres, "Knockemstiff" (Buchet-Chastel, 2010).
Le roman couvre vingt ans à partir de la fin de la Deuxième Guerre mondiale mais il s'ouvre sur un prologue en 1957. Le jeune Arvin Russell suit son père dans une clairière qui sert d'autel de prière – on retrouvera le lieu beaucoup plus tard, alpha et oméga de son destin. Apparaît déjà  la phrase énigmatique, qui sera le fil rouge du livre quand Williard lance à son fils: "Il suffit de choisir le bon moment."

Donald Ray Pollock entame alors son récit. On est à l'automne 1945. Rescapé de l'enfer du Pacifique, le soldat Williard Russell rentre chez sa mère, dans l'Ohio. Au fond des yeux, il a le souvenir des tortures infligées par les Japonais à un Marine. A une halte du bus Greyhound, il tombe amoureux de la serveuse. Revient quelques jours plus tard l'épouser et s'installer avec elle. Après quelques années, le couple a enfin un enfant, Arvin, et déménage. Mais Charlotte tombe gravement malade. Son mari ne le supportera pas. L'orphelin est envoyé chez sa grand-mère.
A partir de là, on ne peut plus lâcher le livre. Donald Ray Pollock a introduit peu à peu, sans qu'on s'en aperçoive vraiment, les personnages qui vont se croiser, s'imbriquer, lutter, s'aider ou se trahir, dont on va découvrir la folie ou les vices. Apparaissent ainsi un couple qui écume les routes et enlève les auto-stoppeurs pour les assassiner et leur faire subir d'autres horreurs, un duo de prédicateurs qui croient pouvoir réveiller les morts et sont en fuite, un pasteur trop intéressé par les plus jeunes de ses paroissiennes. Des bourreaux sans pitié et des victimes naïves. A côté d'eux, un témoin, Arvin, archange du bien à côté du Diable.
Ce roman violent et noir, à la construction savamment maîtrisée, coupe le souffle. On côtoie ses protagonistes, comme de l'intérieur, jusqu'à s'interroger sur sa propre noirceur.



Vous avez commencé à écrire après avoir passé trente-deux ans comme ouvrier dans une usine de pâte à papier. Qu'est-ce qui a motivé ce changement de vie?
Quand j'ai eu 45 ans, mon père quitta l'usine où nous travaillions tous les deux (moi depuis 27 ans), pour partir en retraite. A le voir subitement se contenter de rentrer à la maison, de s'affaler devant la télé, de ne pas réussir à reprendre le dessus, j'ai réalisé que je n'avais pas vraiment envie de vivre la même chose. Je voulais faire autre chose durant le reste de ma vie, ne pas me retrouver dans la situation de mon père. Je me suis dit que j'allais me mettre à écrire. J'étais assez naïf. Je m'imaginais qu'être écrivain, c'était gagner plein d'argent, être son propre chef, pouvoir travailler n'importe où, avoir plein de temps devant soi, obtenir reconnaissance et succès. Ce n'est pas précisément cela, je m'en suis rendu compte. J'ai dit à ma femme que je me donnais cinq ans pour y parvenir et que si ça ne marchait pas, j'abandonnerais l'idée. Mais au moins, je ne regretterais pas de ne pas avoir essayé. Finalement, au bout des cinq ans, c'est l'usine que j'ai quittée puisque j'étais parvenu à quelque chose. J'avais été accepté à l'université dans une faculté qui enseigne l'écriture. Là, j'ai commencé à travailler à mon roman.

Ecriviez-vous déjà avant?
Non.
Lisiez-vous beaucoup?
Oui. J'ai toujours beaucoup lu. Quand j'avais la trentaine, j’ai fait un retour à l’université pour étudier la littérature. Il y avait un programme à l'usine qui permettait aux ouvriers de bénéficier de cours. Moi, j'ai suivi des cours de littérature. J'ai toujours aimé lire, des genres assez différents. J’aime particulièrement des auteurs comme John Cheever, William Faulkner et beaucoup d'écrivains du sud comme Flannery O'Connor.On peut dire que j'ai toujours été un lecteur.
Le fait d'avoir lu beaucoup vous a-t-il aidé à écrire vous-même ?
Oh oui. Sérieusement, je pense qu'on ne peut pas devenir écrivain sans aimer beaucoup lire. 
Le recueil de nouvelles que vous avez déjà publié, "Stockemtiff", porte en titre le nom d’un lieu qu'on retrouve même dans votre roman.
C'est l'endroit où j'ai grandi. C'est un petit hameau, un petit village entouré de collines. On appellerait cela une cuvette.

Vous êtes né en 1954. Mais votre roman livre commence avant votre date de naissance.
Oui il commence en 1945. Mais j'ai l'impression d'avoir connu cette époque. Mon père est né en 1930, ma mère en 1931, la guerre était présente pour eux et notamment le retour de soldats américains qui s'étaient battus dans le Pacifique.
Quelle ampleur pour un premier roman! Aviez-vous l'idée des croisements de vos personnages au départ ou est-ce venu à l'écriture?
Pour être franc, au départ, je n'avais en tête que les personnages de Carl et Sandy, puis ce jeune garçon est apparu. Je voulais au début écrire un livre sur ce couple de serial-killers. Puis, j'ai pensé que ce serait vraiment trop sombre pour tout le monde, y compris pour moi. Et j'avais l'image de ce petit garçon. C'est comme cela que le livre a commencé;  les autres personnages sont venus en cours de route compléter le tableau.

Pensez-vous vraiment qu'à l'arrivée le livre est moins sombre que ce que vous aviez imaginé d'abord?
Oui, vous avez raison. C'est vrai que finalement, et c'est un peu étrange, ce livre a fini par être bien plus sombre que ce que j'avais imaginé avec simplement les deux serial-killers.

On y voyage beaucoup à travers les Etats-Unis. Est-ce en rapport avec votre vie ? Avez-vous beaucoup voyagé, déménagé quand vous étiez petit?
Même si j'ai passé la majorité de ma vie dans le même endroit, je vis à quelques kilomètres de l'endroit où je suis né. Mais j'ai eu la chance de pas mal voyager aux Etats-Unis et, quand j'étais jeune, de faire pas mal de stop. Quand j'ai commencé à écrire le roman, je n'avais pas envie de me cantonner à Knockemstiff. J'avais de donner une  dimension spatiale au texte.
Au début de la lecture, on rencontre différents personnages sans nécessairement se rendre compte que l'intrigue se construit. Ce n'est que plus tard qu'on le comprend. Etait-ce votre idée de départ?
J'avais trois ou quatre histoires au départ, sur une période de vingt années, j'étais donc face à un problème. Comment structurer ces "nouvelles" pour former un ensemble plus grand. Cela s'est mis en place ainsi au fur et à mesure de l'écriture. Je trouvais intéressant finalement que ce soit petit à petit que tous ces personnages soient amenés à se télescoper les uns les autres, à se croiser, à se retrouver.
Une phrase, terrible, revient à plusieurs endroits : "Il suffit de choisir le bon moment." Comment  sait-on que c'est le bon moment?
C'est le piège. On ne sait pas quand est le bon moment.
Le petit Arvin qui n'est pas épargné par le destin avec tous les morts qui l'entourent. Est-ce ce destin cruel qui lui donne la force de réagir, d'intervenir et d'être pour finir le seul qui bouge?
Ce que j'ai su peut-être dès le départ, c'est qu'à un moment donné Arvin rencontrerait Carl et Sandy. Beaucoup de choses concernant les personnages sont nées au fil de l'écriture. Au départ, Arvin était programmé pour mourir. Mais je me suis rendu compte au fur et à mesure que j'avançais que c'était lui qui devait survivre, être le seul à réussir à s'en tirer Il était important qu'il soit quelqu'un d'endurci par la vie, qu'il soit d’une certaine manière préparé à ce qu'il va devenir dans le roman, pour lui donner cette force, cet instinct de survie et de justice aussi.Il est comme un archange du bien à côté du diable.
Une phrase du livre dit: "On dirait que le diable n'abandonne jamais".
J'imagine que c'est vrai. L'histoire des hommes cela a toujours été ce conflit, cette lutte entre le bien et le mal.Mais les proportions varient.On pourrait s'imaginer que ce n'est pas une fatalité et en même temps, il suffit de prendre un journal, dans n'importe quelle petite ville aux Etats-Unis ou dans n'importe quelle grande, pour lire des choses terribles qui parfois défient notre imagination.  On pourrait se dire qu'après ces milliers d'années, après cette histoire de l'humanité qu'on pourrait avoir fini avec tout cela et qu'on pourrait être bien, que tout le monde soit bon et tout ça. Et il y a tout ce sentiment contradictoire qui continue à animer les êtres humains et qui fait que tout cela existe, ce côté sombre, le meurtre, la cupidité, l'envie, le vice. Cela fait partie finalement de la condition humaine.
La religion est très présente dans votre roman. Il y a ces deux prédicateurs, Roy et Theodore, qui sont pour le moins spéciaux. Il y a le pasteur qui part à la retraite et qui est plutôt sympa et puis il y a celui qui le remplace et qui est un monstre pervers.
Je n'ai pas été élevé dans une famille où la religion était présente. Mes parents n'étaient pas croyants et moi non plus je ne suis pas croyant. J'ai du respect pour les prédicateurs, les pasteurs que je connais et qui sont des gens bien. Mais aux Etats-Unis, la religion peut aussi avoir un visage nettement moins intéressant. Ce que j'ai voulu faire, c'est m'attaquer au fait que la religion est autorisée par beaucoup pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la foi et qui ne sont pas forcément toujours bonnes, pour avoir accès au pouvoir, à la richesse, au sexe, pour finalement la détourner de ses buts fondamentaux . Une religion a priori est là pour donner un code moral mais on voit aux Etats-Unis des prédicateurs qui abusent de la crédulité des gens, qui demandent de l'argent, qui passent leur temps à la télé à demander des dons. C'est à cette hypocrisie par rapport à la religion que j'ai souhaité régler son compte dans le livre.
Les victimes apparaissent terriblement naïves.
Aux Etats-Unis il y a des tas d'histoires de personnes âgées qui en sont réduites à manger de la nourriture pour chiens et qui envoient tous leurs revenus à une église ou à un pasteur parce qu'elles placent une foi aveugle en ces gens, sans réaliser qu'ils abusent de leur pouvoir et se servent d'eux d'une façon totalement cupide. C'est vrai que souvent ceux qui tombent dans le panneau sont des gens extrêmement naïfs qui se raccrochent  à quelque chose sans réaliser ce dont ils sont victimes.
L'endroit près de la ferme,  là où commence et s'achève le livre, existe-t-il?
Mon inspiration pour le prologue vient du fait que quand j'étais enfant, nous habitions dans cette cuvette de Knockemstiff. Au-dessus vivait un homme, un voisin très pieux, très dévot, Harry White. Tous les soirs à l'heure du dîner, cet homme partait prier pendait cinq ou dix minutes. Et certains soirs, presque chaque soir, avec le vent, on avait les échos de cet homme qui déclamait des prières, qui s'adressait directement à Dieu. Ce souvenir d'enfance de cet homme obsédé par Dieu. m'a inspiré pour les pratiques de prière du père d'Arvin. 


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