Une double page du livre "Marguerite Duras". (c) De La Martinière. |
C'est vrai qu'elle était jolie quand elle était jeune, Marguerite Duras (1914-1996), on l'oublie parfois aujourd'hui. Elle ne s'était alors pas encore choisi Duras comme nom de plume. La demoiselle portait le nom de son père, Donnadieu. Elle était née en Indochine, dernière des trois enfants du couple Henri et Marie Donnadieu, un directeur d'école et une institutrice volontaires dans les colonies françaises.
C'est un des nombreux éléments qu'a rassemblés Lætitia Cénac dans le très beau "beau livre" biographique qu'elle consacre à "Marguerite Duras" (De La Martinière, 224 pages). Un ouvrage passionnant, qui regorge d'informations sur la vie et les œuvres de Marguerite Duras (livres, pièces de théâtre, scénarios, films, articles...) et se lit comme un roman. Une bonne introduction à celle dont on fêtera l'an prochain le centenaire de la naissance et les trente ans du prix Goncourt pour "L'Amant" (Editions de Minuit).
Il est amusant de constater que c'est la deuxième femme de théâtre qui s'empare de ce sujet. Lætitia Cénac est journaliste, grand reporter au service culture de "Madame Figaro". Elle est également critique théâtral, tout comme Laure Adler qui signa son "Marguerite Duras" en 1998 chez Gallimard - elle vient de le republier en version illustrée chez Flammarion.
Lætitia Cénac. (c) David Coulon. |
Si elle explique la vivacité de sa plume par le fait qu'elle est journaliste, "on sait raconter des histoires", sa passion pour Duras en est au fond la vraie raison. "Je n’ai pas fait ce livre par hasard", reconnaît celle qui admire aussi Léo Ferré - pas simple quand on travaille au "Figaro"... "Lors de mes études de lettres et de philo à la Sorbonne, j’ai fait un DEA sur Marguerite Duras. J’avais alors tout lu d'elle et rassemblé énormément de documentation à son sujet.
J’ai proposé ce livre à l’éditrice à l’occasion du prochain centenaire de sa naissance. Elle a accepté à condition que ce soit un beau livre. Je n’avais plus qu’à relire mes travaux antérieurs et à les compléter de nouvelles lectures, comme le "Cahier de l’Herne" ou d’autres bios parues entretemps.
Il n’y a pas pléthore de livres sur Duras. La collection où sort mon livre demande de raconter quelqu’un, d’inclure l’histoire de cette femme dans la grande Histoire. Le parti pris était d'être grand public. L'ouvrage est donc rubriqué comme un magazine. Les chapitres sont chronologiques et entrecoupés de témoignages, Edgar Morin, Michael Lonsdale, Michèle Manceaux,…, d’encadrés thématiques (les hommes, la mode, la cuisine,…).
J’ai choisi des chapitres chronologiques car ils sont plus accessibles que les chapitres thématiques. Je voulais raconter des choses littéraires à propos de Marguerite Duras et les inclure dans sa vie."
Marguerite Duras et Sami Frey pendant le tournage de Jaune le soleil (1971) (c) Etienne George Sygma Corbis. |
Programme parfaitement suivi dans cet ouvrage vif et captivant, remarquablement illustré de photos plus ou moins célèbres ainsi que de nombreux documents historiques. "Les photos et les illustrations ont été réunies grâce à l’iconographe, de manière à contextualiser la partie historique", explique l'auteure qui n'a pas lésiné sur les citations, très joliment mises en pages elles aussi: "Duras est très forte, qu’elle dise une chose ou son contraire, c’est pour cela que j’ai voulu qu’il y ait de nombreuses citations. C’est un parti pris. A son propos, Michèle Manceaux, qui a été sa voisine pendant trente ans, dit: "Elle, c’était un écrivain!" De plus, Marguerite Duras est au bac de français. C’est l’écrivain le plus lu des lycéens en France. Elle a déjà deux volumes dans la Bibliothèque de la Pléiade (2011), et deux autres arriveront en 2014."
Le plus rigolo de l'histoire, c'est que Lætitia Cénac n'a jamais rencontré Marguerite Duras alors qu'elle a longtemps habité à Sait-Germain des Prés, pas loin de l'appartement du 5 de la Rue Saint-Benoît où l'auteure avait emménagé en 1942. "J’ai découvert ses livres à vingt ans mais je ne sais plus lequel j’ai lu en premier. A l'époque, mon préféré était "Le ravissement de Lol V Stein" et un des premiers dialogues de "Hiroshima, mon amour". J’aime aussi beaucoup ses films "India Song" et "Hiroshima mon amour". Mais la vraie émotion que je garde encore intacte aujourd'hui, c'est quand j'ai vu en vrai, à sa création, en 1983, "Savannah Bay", une de ses pièces de théâtre, avec Bulle Ogier et Madeleine Renaud. Aujourd’hui, ses textes sur l’écriture me correspondent davantage, "La vie matérielle", "Outside", "Le monde extérieur" (tous les trois chez P.O.L.) ou "Ecrire" (Gallimard)."
Dans son "Marguerite Duras", on trouve tout de la femme et de l'artiste multiple: ses errances géographiques, son goût pour l'amour, la passion, le sexe et hélas l'alcool, son esprit communautaire, ses relations avec sa mère et avec ses frères, son attention à l'argent, ses implications politiques, ses désirs d'enfants, son intérêt pour les maisons. Toute une vie qui s'est prolongée dans ses écrits, romans, articles, invention du nouveau roman, scénarios, pièces de théâtre, cinéma... Lætitia Cénac met tout cela magnifiquement en scène, rappelant les succès mais ne masquant rien des drames de celle qui avait toujours regretté être de si petite taille.
Une autre double page du livre reprenant une formule beaucoup lue en cette rentrée.(c) De La Martinière. |
"Il faut beaucoup les aimer les hommes, beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce n'est pas possible, on ne peut pas les supporter." Cette phrase de Marguerite Duras, extraite de "La vie matérielle" (P.O.L.), a été utilisée à la dernière rentrée littéraire, à sa manière et pour le meilleur, par Marie Darrieussecq dans son roman "Il faut beaucoup aimer les hommes" (P.O.L.), prix Médicis 2013. En long, elle sert d'exergue au livre et en court, de titre. On y retrouve la Solange découverte dans "Clèves" (P.O.L.), femme blanche qui vit ici un coup de foudre pour un homme noir.
Atiq Rahimi. |
"Après neuf jours et neuf nuits de marche avec un groupe de jeunes résistants, je me suis réfugié au Pakistan où j’ai demandé l’asile politique à l’ambassade de France. Je suis arrivé en France en 1985. J’étais horrifié: je ne comprenais rien, la plupart des profs français avaient quitté l’Afghanistan quand j’y étudiais. Tout le monde parlait vite, en utilisant des expressions.
Je me suis inscrit à l’université en auditeur libre. Ma première matière a été le Nouveau Roman. Je n’avais pas de culture de la littérature française. Mais je me suis accroché.
En 1984 avait paru "L’amant" de Marguerite Duras. Pour ma petite allocation de réfugié, c’était un livre cher, un investissement même. Mais je l’ai acheté. Et j’ai lu "L’amant" avec le "Petit Robert" à côté de moi. Ce premier livre acheté en France a été ma première aventure littéraire. Je n’avais lu que quelques livres en français en Afghanistan, sous forme de résumés ou de vulgarisations. J’ai découvert à Paris la littérature française dans sa langue originale, moi qui avais lu les "Misérables" en traduction!"
On ne peut évoquer la vie de Marguerite Duras sans relever l'article sur "L'affaire Villemin" qu'elle publia dans "Libération" en juillet 1985. C'est d'ailleurs plus pour cela que pour son Goncourt obtenu l'année précédente pour "L'Amant" (Editions de Minuit) qu'elle figure dans "Les années 80 pour les nuls" (Editions First) de Bertrand Dicale. Des années fric, des années choc, une décennie révolutionnaire dont on retrouve les événements marquants avec plaisir et/ou surprise.
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Ce texte devenu introuvable - il n'avait pas été republié lors du retour de l'éditeur new-yorkais à la fin des années 1990 - revit aujourd'hui en grand format, illustré par la très douée Katy Couprie (Editions Thierry Magnier, 40 pages).(c) Katy Couprie/Ed. Thierry Magnier. |
Quand ses parents vont voir le maître d'école à ce sujet, ce dernier ne se souvient pas avoir un Ernesto dans sa classe. Un "petit brun, sept ans, des lunettes"? Non il ne le voit pas.
Il ne le reconnaîtra pas plus quand ses parents l'amèneront devant lui. On imagine le genre de dialogues non sense, débordants d'appel à la liberté, que Marguerite Duras a eu l'occasion de créer pour ses différents personnages.
L'album "Ah! Ernesto" est excellent, tout simplement. Et il l'est d'autant plus que les illustrations de Katy Couprie ("Le Dictionnaire fou du corps", même éditeur) rencontrent superbement les mots de Duras. Puisées dans des cabinets de curiosité et inspirées des leçons de choses que l'école a rendues célèbres, elles élargissent peu à peu le champ de l'environnement immédiat du jeune garçon pour le mener vers un savoir plus vaste.
Deux autres pages dessinées par Katy Couprie. |
Et pour tout savoir sur la genèse de cet unique album jeunesse, il faut se reporter à l'ouvrage "Ah! Duras" (Ed. Thierry Magnier, 40 pages), où Marguerite Duras explique notamment sa conception de la littérature de jeunesse.
On y trouve des explications sur Ernesto, sur les prolongements auquel le personnage a donné lieu, les souvenirs de François Ruy-Vidal qui avait passé commande à Marguerite Duras, la reproduction de leurs échanges de courrier, le texte remis par l'auteure (avec ses corrections), des extraits d'entretiens, les projets de correction de la première version, illustrée par Bernard Bonhomme, le prolongement dans le film "Les enfants" (1985) et dans le roman "La pluie d'été" (P.O.L., 1990). Autant de documents peu connus, venant des archives de Marguerite Duras conservées par l'IMEC à l'abbaye d'Ardenne, et absolument passionnants.
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