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mercredi 16 décembre 2015

Des images pour les grands aussi (bis)

Hier, je vous présentais la magnifique fresque historico-graphique de Lamia Ziadé, "Ô nuit ô mes yeux" (P.O.L., lire ici). Aujourd'hui d'autres albums pour les grands.

A Baltimore, il y a la série "The Wire" et il y a l'illustrateur David Plunkert. Plus réputé de son côté de l'océan que du nôtre. L'Américain né en 1965 a beau collaborer depuis belle lurette avec les journaux et les magazines les plus prestigieux, d'"Esquire" au "New Yorker", en passant par "Forbes" ,"Time", "Playboy", "Rolling Stone magazine" sans oublier le "New York Times" et le "Wall Street Journal", on ne le connaît guère ici. Dommage parce que cet adepte des collages, dans la plus pure inspiration dadaïste mais résolument contemporain, gagne à être connu. C'est désormais possible avec la parution de la version française des "Histoires extraordinaires et poèmes" d'Edgar Poe (Textuel, 208 pages) qu'il a largement illustrée. Un beau livre en moyen format offrant une sélection des textes de l'écrivain et poète américain, né à Boston en 1809 et mort à... Baltimore en 1849. Sont réunis ici douze "Histoires extraordinaires" et douze "Poèmes", dans les traductions françaises de Charles Baudelaire, Emile Hennequin, Stéphane Mallarmé, Brice Matthieussent et Félix Rabbe.

Les images pleine page (sauf une sur double page) ponctuent les récits au rythme d'une toutes les quatre ou cinq pages de texte; elles sont parfois complétées de vignettes en noir et blanc. Ce qui fait de cet ouvrage un vrai beau livre bien illustré. De quoi lire ou relire certains textes classiques de Poe, comme "Le corbeau" qui termine l'alnum et aussi en découvrir d'autres, plus confidentiels, tous ayant été choisis et réunis pour leur ambiance inquiétante et leur humour glaçant.

Dernier texte du recueil, "Le corbeau". (c) Textuel.


Toujours dans le thème de l'inquiétude, une nouvelle inédite de Haruki Murakami, écrite en 2005, qui paraît en version illustrée par l'Allemande Kat Menschik - c'est la troisième fois que la Berlinoise illustre un texte du Japonais, elle l'avait déjà fait pour "Sommeil" (2010) et "Les attaques de la boulangerie" (2012). J'ai nommé "L'Etrange Bibliothèque" (traduit du japonais par Hélène Morita, Belfond, 72 pages). Parce que oui, le lieu inquiétant est une bibliothèque, habituel havre de paix.

On y suit un jeune garçon curieux et consciencieux, grand adepte de la bibliothèque municipale. Non seulement, il s'y rend régulièrement pour trouver des livres répondant à ses questions, mais en plus il remet toujours les livres empruntés à l'heure. Il ne se doute de rien ce soir-là. Découvre seulement qu'une femme étrange occupe l'espace de prêt. Mais, il ne se méfie pas et suit ses instructions: "Descendez l'escalier, et puis à droite. Avancez tout droit jusqu'à la salle 107."

Le tortionnaire. (c) Belfond.

Pauvre de lui! Il a mis le pied dans un engrenage dont il aura bien de la peine à se sortir. C'est ce que nous raconte avec un plaisir non dissimulé Haruki Murakami en tressant cette histoire de jeune usager de bibliothèque séquestré par un vieil homme terriblement inquiétant qui se nourrit de cervelles bien faites. Le vieillard violent est aidé par un étrange homme-mouton, obéissant en apparence et excellent cuisinier.

Le narrateur va vivre de curieuses aventures durant sa captivité. Il va notamment rencontrer une fillette muette, terriblement jolie et porteuse de nourritures exquises. Cela va apporter quelques diversions aux inquiétudes que le gamin se fait pour sa mère qui l'attend chez eux. Mais l'essentiel est qu'il est prisonnier d'un fou, attaché à son lit et que sa cellule se trouve au bout d'un labyrinthe compliqué. L'auteur ne va toutefois pas laisser son héros là et il nous fait suivre sa tentative haletante d'évasion.

Une nouvelle plaisante qui pose, l'air de rien, les questions du danger du savoir et de la résistance à l'autorité bête, en les transposant dans un univers onirique où le Japonais évolue comme un poisson dans l'eau.

Le début de "L'étrange bibliothèque" peut se lire ici.

A noter enfin qu'après trente-sept ans, Haruki Murakami autorise la publication de ses deux premiers romans, "Ecoute le chant du vent" (1979) et "Flipper, 1973" (1980). Traduits par Hélène Morita, ils seront en librairie le 14 janvier 2016, en un seul volume (Belfond). Ecrits et publiés au Japon en 1979 et 1980, puis dans une unique traduction anglaise, ils composent les deux premiers tomes de la "Trilogie du Rat", que clôt "La Course au mouton sauvage" (Seuil, 1990, 2009; Points, 2002, 2013). Ces œuvres étaient jusqu'ici interdites de publication par l'auteur lui-même, qui en explique la genèse dans sa préface: ces deux courts romans "écrits sur une table de cuisine" sont  à l'origine de sa décision de devenir écrivain. Le premier, "Ecoute le chant du vent", avait remporté le prix Gunzo au Japon et apporté un succès immédiat à Murakami.


Retour sur terre avec "La Pasionaria", le surnom bien porté par l'Espagnole Dolorès Ibárruri, dont le destin extraordinaire de force et de courage nous est conté sous forme de bande dessinée par Michèle Gazier au scénario Bernard Ciccolini aux dessins (Naïve, collection "Grands destins de femmes, 98 pages). Cette femme fabuleuse fut une figure légendaire de la guerre d'Espagne et une leader communiste.

Retour à Madrid. (c) Naïve.
Dolorès Ibárruri est née en 1895 dans le pays basque espagnol. Elle mourra à Madrid en 1989, douze ans après son retour d'un exil de trente ans  en URSS à la suite de la victoire de Franco. L'album s'ouvre sur cette scène de retour, le 13 mai 1977. Le vol régulier Moscou-Madrid est retardé. Une dame âgée, solidement encadrée, s'engage résolument sur la passerelle. Dans l'avion, les hôtesses jacassent. Elles ignorent sans doute tout de la vie de leur passagère qui se la remémore au cours de ce voyage. A ses premiers souvenirs, elle a sept ans.

On voit se dérouler la vie de cette petite fille douée à l'école, mais née fille, à la huitième place d'une famille pauvre de onze enfants dont le père travaille à la mine, comme tous les hommes du coin. Dolorès aime l'école, elle aime apprendre, fait la part entre réalité et religion et souhaite devenir institutrice. Raté, à quinze ans, on la force à apprendre la couture.

Elle va travailler, et surtout découvrir les conditions du travail. Pour avoir son indépendance, elle deviendra servante. En parallèle, elle lit et soutient les ouvriers qui commencent à s'organiser contre les conditions inhumaines de travail que les patrons leur imposent. On la marie, une liberté qui est une autre prison. Les fenêtres de sa vie sont alors Marx et Victor Hugo.

L'album déroule chronologiquement l'itinéraire engagé de la Pasionaria, qui subira la prison parce que communiste. Ce qui ne diminue pas ses combats. Durant la guerre d'Espagne, elle est sur tous les fronts. "No Pasarán", répète-t-elle malgré les défaites des Républicains. L'antifasciste devra toutefois prendre le chemin de l'exil à Moscou.

La dernière partie du livre reprend à l'arrivée de l'avion à Madrid. Malgré son âge, la militante a encore beaucoup de travail à faire dans son pays et pour son pays... L'atout du livre, bien écrit et dessiné, est de présenter toutes les facettes, publiques et privées, d'une femme extraordinaire, confrontée à l'histoire en marche de son pays.

La Pasionaria a connu la prison. (c) Naïve.


Je termine sur une note humoristique avec la sortie du quatrième tome des bons mots, maximes, dictons et réclames d'Auguste Derrière, "Les girafes n'aiment pas les tunnels" (préface de Hervé Le Tellier, Le castor astral, 160 pages).
Deux ans déjà qu'on attendait une nouveauté d'Auguste Derrière, né en 1891 à Bordeaux comme on le sait (lire ici). Même si on sait que ces recueils sortent une année sur deux, en novembre. Quand on aime, on ne compte pas.

Les voilà donc, ces quatre centaines et plus de pensées, maximes, dictons et autres réclames, parfois illustrés mais toujours fort agréablement typographiés,  qui vont vous faire vous gondoler grave. Quand le mauvais jeu de mots est décliné avec une telle vélocité, on ne peut qu'applaudir. Sept exemples pris au hasard, ou presque.
"Les végétariens ne vont jamais à la pêche, ils s'en fish!"
"Les salades romaines ne sont pas légion."
"Vous êtes trop gai, vous êtes drogué?"
"Ne dites pas "Je dévore Tchékov" mais "Je bouffe chez Jean-Pierre"."
"Peut-on ouvrir une maison close avec une clé à pipe?"
"Les homosexuels ne sont jamais trop aidés. (Liaison dangereuse)"
"Amsterdam n'est pas la femelle du hamster."

Et puis, ces girafes nous apprennent plein de choses. Comment voir le pape à Noël, qui fête la Saint-Ignace, la fonction du tibia de curé ou encore ce qu'est l'acarien. De quoi se lubrifier les neurones, les axones et même les dendrites. Sans oublier les très nombreuses réclames sur pleine page, illustrées. Graphisme à l'ancienne mais sujets de tous temps. Bref, "Les girafes n'aiment (peut-être) pas les tunnels" (la page de titre montre pourquoi et on les comprend) mais moi j'adore ces jeux de mots innombrables, tordus, étourdissants à haute dose mais puissamment addictifs.

Auguste Derrière s'adresse aux Français en ce 13 décembre. (c) Castor astral.


Pour feuilleter le début de l'ouvrage, c'est ici.





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