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mardi 1 mars 2016

Etre père, selon l'écrivain Willy Vlautin

Posez sur la platine "You cant' go back if there's nothing to go back to", le dernier CD des Richmond Fontaine tout juste sorti - ou un des dix disques précédents du groupe américain -, vous ête prêt à ouvrir le dernier roman en date de Willy Vlautin, l'excellent "Ballade pour Leroy" ("The Free", superbement traduit de l'américain par Hélène Fournier, Albin Michel, collection "Terres d'Amérique", 293 pages). Une histoire de lutte pour la vie, hantée par la guerre, la pauvreté et la mort.

Car l'écrivain gaucher est aussi le créateur, compositeur, chanteur et guitariste du groupe de folk alternatif Richmond Fontaine qu'il a fondé à Portland en 1994. "Tout ce qui m'est arrivé de bien, c'est à partir du moment où j’ai eu mon groupe", me glisse-t-il, de passage à Bruxelles. Le disque s'écoute avec plaisir, comme en a témoigné le "musical" du romancier, sourire et chemise à carreaux, lors de la Foire du livre de Bruxelles. "Mes chansons sont comme la bande-son de mes romans." A noter que Willy Vlautin est aussi le producteur, le compositeur et le musicien d'un autre groupe de Portland, country un peu plus jazzy, autour de la chanteuse Amy Boone, The Delines, fondé en 2013.

Les accents musicaux de Richmond Fontaine, d'une douceur parfois déchirante, rebondissent sur les pages de papier, comme en stéréo. Pas que Willy Vlautin ait écrit un roman mélo ou lacrymal. Loin de là. Son livre est d'une sobriété exemplaire. Il y dit l'Amérique d'aujourd'hui par le biais de ses personnages, des humbles, les exclus du rêve américain. Son réalisme social, il le distille à petites doses. L'air de rien, à force de préciser ses personnages au fil des chapitres, d'en dépeindre les histoires, joyeuses ou tragiques, il nous donne à voir ceux qu'on ne voit pas aux Etats-Unis, ceux qu'on ne veut pas voir. Sa manière n'a pas besoin d'artifices de scénario pour toucher au cœur. Il raconte ses héros et le lecteur assemble les pièces. "J'ai eu des surprises au fur et à mesure que j'écrivais. C'est pareil pour le lecteur, plus il lit, plus il en sait sur les protagonistes."

L'écrivain ne juge personne et nous entraîne dans sa rencontre avec Leroy (à prononcer avec un "l" mouillé), Freddie, Jo, Pauline, Darla, Mara,... et c'est tant mieux. Plus on fait connaissance avec ses héros, plus on comprend les gouffres dans lesquels ils se démènent. Plus on approche leur humanité, leurs espoirs, leurs rêves. Plus on apprécie ce roman fort mais facile à lire, composé de phrases courtes. "Je veux écrire des romans que les gens puissent lire après le boulot, simples mais intenses."

Willy Vlautin. (c) Lee Posey.

"Ballade pour Leroy" commence quand Leroy, jeune soldat revenu gravement blessé de la guerre d'Irak, se réveille brièvement dans un centre pour handicapés. Il ne se rappelle pas de grand-chose de son passé mais est suffisamment lucide pour comprendre qu'il ne mènera plus jamais sa vie d'avant. Il décide d'en finir mais se rate. Et c'est à son chevet de comateux, à l'hôpital, que vont se croiser ou se succéder les différents acteurs du roman. "J'ai écrit "The Free" parce que je voulais écrire un livre sur les infirmières, Pauline en est une, Darla est fille d'infirmière, Freddie évolue dans le même milieu. Je voulais aussi écrire un livre sur le service de santé aux Etats-Unis, sur les soldats qui rentrent à la maison mais, surtout, sur les infirmières formidables comme Pauline."

Freddie est ce qu'on pourrait appeler une belle personne si le terme n'était tellement galvaudé. Il cumule deux boulots, infirmier garde de nuit dans le centre pour soldats handicapés local et vendeur de peintures le jour. Indispensable pour arriver à régler toutes les factures de sa famille. Même si son ex-femme a emmené leurs deux filles au loin, il se considère comme père avant tout et tente de faire au mieux. "Dans mes deux premiers romans, il n'y avait pas de père, dans le troisième, je l'ai tué, dans celui-ci, c'est Freddie et il est merveilleux. Etre père donne du sens à la vie."

Pauline, l'infirmière qui s'occupe de Leroy, a une bonne humeur et une attention aux patients qui appellent l'admiration. Pourtant, en dehors de l'hôpital, sa vie n'est pas très remplie et on comprendra vite pourquoi. "Pauline prend soin de tout le monde sauf d'elle-même. Elle est en empathie avec ceux qu'elle croise. Toute sa vie, c'est donner, à son père fou, à ses patients. Elle sait ce qu'est aimer mais s'en protège. A la fin du roman, après sa rencontre avec Jo, elle choisit d'aimer."

Jo est une très jeune fille très mal en point quand elle est hospitalisée à quelques chambres de Leroy. Elle fait semblant d'être muette... sauf qu'à Pauline, on ne la fait pas... "Jo vient d'une famille où la religion est extrémiste. Ses parents sont supposés être chrétiens mais ils l'abandonnent. Je voulais montrer l'Amérique religieuse. Ces extrémistes n'ont pas le droit de briser les familles."

Darla, la mère du soldat blessé, le soigne avec son amour de mère. Elle a découvert son goût pour les livres de science-fiction et lui en lit des passages pour tenter de le raccrocher à quelque chose.

Leroy lui-même n'est pas absent des pages. Il nous fait part de ses rêves, à la fois souvenirs de son passé avec sa petite amie et anticipation d'un futur terrifiant où l'ordre et la force dominent tout. Mais tous ne se laissent pas intimider. "Ces incises de science-fiction me donnent la liberté de parler de l'Amérique et d'y mettre de l'espoir. La situation est tragique. Leroy est amoureux, il devient soldat et n'est pas un bon soldat. Ici, de nombreuses discussions portent sur la notion de qui est un vrai Américain. Ma fiction en donne une version extrême."

Si on comprend bien qu'on n'aie pas pu traduire en français le titre original, "The Free", il est pourtant la clé du roman. Car aucun des personnages n'est libre. "A la fin, ils le sont un peu plus, la mère de Leroy, sa petite amie, Pauline, même Freddie. Ce roman me sert aussi à faire mes commentaires sur la société américaine." "Ballade pour Leroy" fait superbement se côtoyer et s'entremêler ces destins entre passé, présent et futur.

Dire que Willy Vlautin aurait pu rester à Reno (Nevada) où il est né en 1967 et où il a passé sa jeunesse et ne pas déménager à Portland (Oregon) où il a pu enfin se partager entre musique et littérature! "Reno, avec le désert, c'est beau. Mais je suis né dans une famille très conservatrice où on n'aimait ni les livres ni la musique. J'ai déménagé à Portland pour rencontrer des gens qui les apprécient. La première année que j'y étais, j'ai trouvé les autres membres du groupe et j'ai fondé Richmond Fontaine." Les livres ont suivi un peu plus tard. "Quand j'étais jeune, l'idée d'être écrivain, c'était comme d'être cosmonaute ou une star de cinéma! A des milliers de kilomètres de ce que j'étais." Vivent les déménagements!

Willy Vlautin est l'auteur de quatre romans actuellement, dont trois sont traduits en français, toujours chez Albin Michel, "The Motel Life" (2006, "Motel Life", 2006), "Northline" (2008, "Plein nord", 2010), "Lean on Pete" (2010, qui devrait paraître en français l'an prochain) et "The Free" (2014, "Ballade pour Leroy", tout juste paru). Et chance! L'écrivain m'a annoncé qu'il comptait bien terminer l'écriture de son nouveau roman cet été. "Il met en scène un vieil homme et un ranch en Amérique."

Pour lire le début de "Ballade pour Leroy", c'est ici.

Pour écouter Willy Vlautin à la Foire du livre de Bruxelles, c'est ci-dessous. La photo n'est pas à l'envers, il est gaucher. (c) S. L.


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