Hannah Arendt, par Flonia Khodeili et François De Smet. |
Remarquable séance des Midis de la poésie ce mardi 7 mars qui avait attiré la grande foule. Elle avait pour titre "Hannah Arendt, ou le mal comme absence de pensée" (lire la présentation ici).
On a entendu François De Smet, philosophe et directeur de Myria (Centre fédéral Migrations) exposer, simplement mais en profondeur, la pensée, trop souvent mal comprise, de la philosophe et politologue américaine d'origine allemande.
On a écouté la lecture lumineuse de Flonia Khodeili d'extraits du livre de Hannah Arendt "Eichmann à Jérusalem". C'est fou comme un texte dense peut s'éclairer à l'oral!
Le thème du "mal comme absence de pensée" m'a d'autant plus interpellée que c'est ce même 7 mars que la Cour de justice européenne a rendu son arrêt dans une affaire opposant une famille syrienne demandant un visa humanitaire à la Belgique et l'Etat belge. A la stupéfaction de tous les défenseurs des droits de l'homme, les juges n'ont pas suivi l'avocat général et ont décidé ceci (communiqué complet ici, arrêt ici).
"Les États membres ne sont pas tenus, en vertu du droit de l'Union, d’accorder un visa humanitaire aux personnes qui souhaitent se rendre sur leur territoire dans l’intention de demander l'asile, mais ils demeurent libres de le faire sur la base de leur droit national."
"La banalité du mal est une forme de cécité volontaire."
"Être criminel, ce n'est plus seulement une question d'être mais de laisser-faire."
"La Shoah est un crime collectif."
"Agissez de telle manière que si le Führer avait connaissance de vos actes, il les approuverait."
"La médiocrité de pensée engendre le mal."
Réfléchissons, agissons!
La séance des Midis s'est, en bonne logique, terminée par de la poésie, activité moins connue de Hannah Arendt qui la réservait à une sphère plus privée. Mais elle en a écrit pendant près de quarante ans, de 1924 à 1961. En octobre 2015, les éditions Payot ont publié "Heureux celui qui n'a pas de patrie, Poèmes de pensée" (édition bilingue, traduit de l'allemand par François Mathieu, préface de Karin Biro, 238 pages), un recueil de poèmes de Hannah Arendt, souvent inédits, qui nous font pénétrer dans le jardin secret de la plus grande philosophe du XXe siècle.
Voici l'extrait de ce recueil qui a clôturé cet excellent Midi.
Heureux celui qui n'a pas de patrie
Justice et liberté,
Frères ne dites pas
Que l'aurore brille devant nous.
Justice et liberté
Frères osez
Demain, nous rosserons le Diable à mort.
Venus des montagnes
Montés des vallées
Traînez le poids au pied:
Justice et libertés
Frères ne posez pas de question
Nous seuls sommes le tribunal du monde
Vastes terres,
Rues étroites,
Frères, c'est notre foulée.
Pleurer, rire,
Aimer, haïr,
Nous entraînons tous les dieux avec nous.
Je sais que les routes sont détruites,
Où la trace des roues brille-t-elle, sortie admirablement intacte
De ruines antiques?
Je sais que les maisons sont tombées.
Nous y entrions, entrions dans le temps étonnamment certains qu'il
Est plus durable que nous-mêmes.
La lune que, cette fois, nous avons oubliée,
Porte-t-elle encore dans sa plus durable lumière
Les fers des chevaux
Comme un écho venu du visage mutique des flots?
La tristesse est comme une lumière dans le cœur allumée,
L'obscurité est comme une lueur qui sonde notre nuit
Nous n'avons qu'à allumer la petite lueur du deuil
Pour traverser la longue et vaste nuit, comme des ombres nous retrouver chez nous
La forêt est éclairée, la ville, la route et l'arbre.
Heureux celui qui n'a pas de patrie; il la voit encore dans ses rêves
Flonia Khodeili et François De Smet au Midi du 7 mars. |
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