Joséphine Bacon. |
A la Foire du livre de Bruxelles, j'ai eu l'immense plaisir cette année de rencontrer Joséphine Bacon (à prononcer Ba-con, sans déformation anglo-charcutière). Une réalisatrice de films documentaires et une formidable poétesse amérindienne, Innue de Betsiamites. Née en 1947, elle vit à Montréal. D'où sa présence dans l'importante délégation d'auteurs (une bonne quarantaine) venus à Bruxelles pour célébrer le 375e anniversaire de la principale métropole du Québec.
Tout sourire derrière ses immenses yeux bleus dont elle me livrera le secret, Joséphine Bacon faisait cette année son deuxième voyage en Belgique. Le premier date de 1995, la même année que celle où elle est allée dans la toundra comme elle le raconte dans son magnifique recueil de poésie "Un thé dans la toundra/ Nipishapui nete mushuat" (bilingue, Mémoire d’Encrier, 96 pages, 2013).
Que venait faire alors une documentariste amérindienne dans la région de Biourge? Tout simplement tenter de réunir de la documentation pour le film qu'elle voulait réaliser sur Johan Beetz (1874-1949), un aristocrate belge qui s'est installé au Canada en 1897 pour oublier son chagrin après le décès de sa fiancée. Petit de taille - comme l'est sa portraitiste, il est devenu un grand homme pour les Innus grâce à l'amitié profonde qu'il vouait à ce peuple. Passionné de nature, de chasse et de pêche, il apprendra aux autochtones à ne plus troquer leurs peaux contre une bouchée de pain. Il fut aussi un grand naturaliste. "Johan Beetz aimait beaucoup les Indiens et a même marié une Indienne", résume Joséphine Bacon. Il lui a même fait onze enfants! Le documentaire qu'elle lui a consacré est sorti en 1997, "Tshishe Mishtikuashisht - Le petit grand européen (Johan Beetz)".
"Comme je savais que Johan Beetz avait vécu quelques années au château des Tourelles à Biourge, j'y suis allée", se souvient la réalisatrice. "Mais en 1995, le château avait changé de propriétaire et d'affectation. Il était devenu un hôtel-restaurant!" Quand elle a sonné à la porte, elle a été fort bien reçue par Philip De Buck qui y fut établi de 1987 à 2000. Le cuisinier l'a aidée comme il pouvait pour ses recherches, mais surtout, il est allé au Canada préparer un repas de fête en l'honneur d'Henri Beetz, 84 ans, le dernier fils vivant de Johan!
Mais la poésie dans tout cela?
"Si je suis poète, c'est grâce à une Bretonne, Laure Morali", déclare tout de go Joséphine Bacon. Une Bretonne qui est partie étudier au Québec quand elle avait vingt ans et y est restée. En 2008, elle a proposé à la cinéaste d'établir une correspondance avec le poète José Acquelin. Cela a tout déclenché. Elle s'est mise à écrire et n'a plus arrêté. Si la poésie est arrivée tard dans l'itinéraire de la documentariste innue, elle s'y est installée profondément. "La poésie ne meurt pas, je la trouve toujours, à n'importe quel moment de ma vie", a-t-elle déclaré.
Elle est allée à la rencontre des aînés et a écouté ce qu'ils lui disaient. Elle a tout noté sur des bouts de papiers épars. "Ce que les vieux m'ont raconté a donné le livre bilingue "Bâtons à message/ Tshissinuashitakana". J'ai ramassé tout ce que j'avais noté et j’en ai fait un recueil de poésie."
Son plus récent recueil, aussi splendide qu'enthousiasmant, "Un thé dans la toundra / Nipishapui nete mushuat" est directement inspiré de son propre séjour dans la toundra et des récits des anciens qu'elle porte en elle. A l'automne 1995, Joséphine Bacon s'est rendue dans la toundra, à Shefferville, où se tenait un rassemblement des aînés des différentes communautés innues. Elle a été accueillie par un chasseur de caribous, Ishkuateu-Shushep et sa famme Maïna.
Elle le consigne dans le prologue du recueil, explique ce qui s'est passé durant ce séjour. Suivent alors les poèmes qui en découlent, dont cette chasse au caribou superbe de respect et de délicatesse, toujours en français sur la page de gauche, en innu-aimun sur celle de droite.
"J'écris mes poèmes en innu ou en français. N'importe où, que ce soit dans un parc à Montréal ou dans un taxi. Mais ceux qui concernent les territoires de mes ancêtres me viennent plutôt dans ma langue. Pour faire un recueil, je sors tout ce que j'ai écrit et j'adapte plus que je ne traduit."Sans titre, souvent assez courts, simples mais d'une éloquence parfaite, les poème disent la toundra, la vie et notre incompétence face à l'infini. Ils se réfèrent au prologue, bien utile pour les percevoir au mieux.
"La toundra est comme ma sœur. Je fais comme si elle était une personne que je connais. Sinon, l'inspiration ne me viendrait pas. J'écris par inspiration.Ce sont des poèmes hors du temps, à cause du nomadisme.Le temps peut par exemple être celui de la chasse. Tout est lié à la terre, les animaux aussi.
Jadis, on se désignait par les rivières qu'on utilisait pour rejoindre les territoires. Les rivières étaient des autoroutes pour nous. Ainsi, montagnais, c'est ma région.La terre est une personne pour nous. On l'humanise. Aujourd'hui, on parle de manière trop scientifique de la planète, cela la met à distance. Il faudrait en parler autrement, de manière plus proche."Joséphine Bacon raconte le plus simple et donc l'essentiel avec des mots lumineux et vivants. Elle célèbre la beauté et la vie, l'humanité et son peuple.
"Je ne sais pas chanter
Pourtant, dans ma tête
Un air me rappelle
La verte Toundra
Mon corps s'appuie
Sur une présence
Invisible
La ville où j'erre
Et l'espoir que tu m'accueilles
Puisque je suis
Toi"
Elle ajoute: "J'ai écrit ces poèmes à Montréal et non dans la toundra parce que j'y étais plus réalisatrice que poète. J'ai participé à une série de films mais pas très souvent parce que je n'en faisais qu'à ma tête et que les producteurs n'aimaient pas trop ça."
"Quand tu es dans la toundra, toutes les directions sont devant toi. Comme si la toundra te donnait une autre vie. Elle est un cadeau de la terre. Y vivre est un cadeau des quatre éléments."Pour feuilleter "Un thé de la toundra", c'est ici.
Si je vous montre ceci, que lisez-vous?
Oui, drôle de langue que l'innu, mot qui signifie humain.
Et avec la traduction en français?
En innu, poésie se définit comme mots de fierté!
Joséphine Bacon me lit un poème. (c) Be culture. |
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