Anne-Dauphine Julliand (c) Stéphane Remael-Les Arènes. |
"Jules-César", le titre claque autant qu'il étonne. Le premier roman d'Anne-Dauphine Julliand (Les Arènes, 382 pages) porte le prénom du Sénégalais de "presque sept ans" dont on va suivra les combats. Le gamin vit tranquillement à Ziguinchor, en Casamance, entre ses parents, son grand frère, sa grand-mère, ses copains et les voisins. Très tranquillement même, trop, car ses reins ne fonctionnent plus. Seule une greffe peut le sauver et lui éviter les dialyses constantes. Son père est donneur compatible mais ce genre d'opération ne se fait pas dans leur pays. Alors la famille fait un pari fou. Partir en France et bénéficier de l'aide médicale apportée aux enfants sans papiers.
"J'ai eu tout de suite l'idée d'un petit garçon qui s'appelait Jules-César", explique Anne-Dauphine Julliand, de passage à Bruxelles. "Je voulais examiner le rapport d'homme à homme entre le père et le fils". Car dans ce livre attachant, c'est, contrairement à l'habitude où la mère se déplace, le père qui part avec son enfant malade à Paris. Certaines choses sont simples pour eux. Ils sont ainsi accueillis et logés par une parente. Rien du reste ne l'est. Ni les démarches à l'hôpital parisien Robert-Debré qui soigne les enfants sans distinction, ni la confrontation au mode de vie européen. Il leur faudra ruser pour atteindre leur but. Et attendre.
Et se mettre en veilleuse, ce qui n'est du goût de personne. Le père, actif au Sénégal, est condamné par son statut à ne quasi rien faire à Paris et à découvrir son fils cadet. La mère en était déjà à son sixième mois de grossesse lors du départ. Le frère est en manque de son admirateur. La grand-mère attend aussi, elle qui a trouvé les mots pour encourager Jules-César à se lancer dans cette migration médicale. Finalement, c'est sans doute ce dernier qui s'accommode le mieux de cette suspension. Il y croit. Il a la foi. Il va à l'école, aborde le grincheux voisin, socialise avec les infirmières et les autres enfants malades lors de ses dialyses.
Anne-Dauphine Julliand a choisi de faire alterner les points de vue du père et du fils dans ce roman qui aborde beaucoup de sujets en rapport avec la migration. On suit Augustin et Jules-César dans leur découverte mutuelle, dans leur quotidien de migrants d'abord, de sans papiers ensuite. "Quand j'ai commencé à écrire il y a deux ans", se rappelle l'auteure, journaliste et documentariste, "j'avais le début et la fin de mon histoire. Je savais ce que je voulais dire mais la façon dont je l'ai raconté a évolué. En parallèle, en 2017, j'ai réalisé le film documentaire "Et les Mistrals gagnants" sur cinq enfants malades qui parlent de leur vie. Il y avait notamment Imad, qui venait d'Algérie avec son papa. Et je me suis demandé: qu'est-ce qui pousse un homme à tout quitter pour soigner son enfant?"
Mère de quatre enfants, l'auteure a elle-même vécu une terrible expérience avec des enfants malades. Ses deux petites filles, Thaïs et Azylis, souffraient d'une maladie génétique orpheline incurable et sont décédées à trois et dix ans. Epreuves qu'elle a évoquées dans les livres-témoignages "Deux petits pas sur le sable mouillé" et "Une journée particulière" (Les Arènes, 2011 et 2013, J'ai lu, 2013 et 2014). C'est à cette période qu'elle a rencontré Thérèse Sambou, une Sénégalaise qui a alors pris soin de leur famille et à qui le roman est dédié.
Anne-Dauphine Julliand a fait le choix de la fiction "pour gagner en liberté et en contraintes. Je ne voulais pas raconter la vie de gens que je connaissais mais me balader en toute liberté dans ces sujets". Elle s'est aussi beaucoup documentée à l'hôpital Robert-Debré et en Casamance. "Je me suis nourrie de mes visites au Sénégal et de mes conversations avec une Thérèse, cette femme, que j'ai rencontrée il y a 14 ans et qui m'a expliqué le Sénégal. Un pays où on meurt encore de fatalité. Thérèse m'a libérée de cette peur très occidentale de la mort et du mort. Elle m'a permis un apaisement par rapport à la mort."
"Jules-César" met bien en évidence le quotidien de cette famille séparée pour la bonne cause mais pleine d'amour. La culpabilité par rapport à la maladie, l'ambivalence science/croyance, le déracinement, la clandestinité, l'oisiveté, le manque d'argent, la répartition traditionnelle des rôles hommes-femmes, grâce notamment au voisin, à la maîtresse d'école, au camarade de plonge, à l'assistance sociale. "Les personnages secondaires sont très travaillés car ils représentent l'humanité, chacun de nous avec ses zones d'ombre. M. Jeanjean est aigri, bougon, à cause de multiples petites déceptions dans la vie. Il se sent victime de tout. Jules-César lui sert de révélateur. L'institutrice symbolise la peur des différences. Chacun des personnages incarne un peu ce qu’on est et notre capacité à avancer en humanité." Il y a aussi ceux qui aident le petit malade et ceux qui changent de point de vue. On passe de bons moments en leur compagnie, en attendant l'opération espérée. On regrette toutefois l'emballement final. Les drames s'enchaînent à partir du retour d'une escapade réussie à la mer au risque de perdre le lecteur. C'est dommage, "Jules-César" tenait très bien sans ces quelques scènes.
"J'ai eu tout de suite l'idée d'un petit garçon qui s'appelait Jules-César", explique Anne-Dauphine Julliand, de passage à Bruxelles. "Je voulais examiner le rapport d'homme à homme entre le père et le fils". Car dans ce livre attachant, c'est, contrairement à l'habitude où la mère se déplace, le père qui part avec son enfant malade à Paris. Certaines choses sont simples pour eux. Ils sont ainsi accueillis et logés par une parente. Rien du reste ne l'est. Ni les démarches à l'hôpital parisien Robert-Debré qui soigne les enfants sans distinction, ni la confrontation au mode de vie européen. Il leur faudra ruser pour atteindre leur but. Et attendre.
Et se mettre en veilleuse, ce qui n'est du goût de personne. Le père, actif au Sénégal, est condamné par son statut à ne quasi rien faire à Paris et à découvrir son fils cadet. La mère en était déjà à son sixième mois de grossesse lors du départ. Le frère est en manque de son admirateur. La grand-mère attend aussi, elle qui a trouvé les mots pour encourager Jules-César à se lancer dans cette migration médicale. Finalement, c'est sans doute ce dernier qui s'accommode le mieux de cette suspension. Il y croit. Il a la foi. Il va à l'école, aborde le grincheux voisin, socialise avec les infirmières et les autres enfants malades lors de ses dialyses.
Anne-Dauphine Julliand a choisi de faire alterner les points de vue du père et du fils dans ce roman qui aborde beaucoup de sujets en rapport avec la migration. On suit Augustin et Jules-César dans leur découverte mutuelle, dans leur quotidien de migrants d'abord, de sans papiers ensuite. "Quand j'ai commencé à écrire il y a deux ans", se rappelle l'auteure, journaliste et documentariste, "j'avais le début et la fin de mon histoire. Je savais ce que je voulais dire mais la façon dont je l'ai raconté a évolué. En parallèle, en 2017, j'ai réalisé le film documentaire "Et les Mistrals gagnants" sur cinq enfants malades qui parlent de leur vie. Il y avait notamment Imad, qui venait d'Algérie avec son papa. Et je me suis demandé: qu'est-ce qui pousse un homme à tout quitter pour soigner son enfant?"
Mère de quatre enfants, l'auteure a elle-même vécu une terrible expérience avec des enfants malades. Ses deux petites filles, Thaïs et Azylis, souffraient d'une maladie génétique orpheline incurable et sont décédées à trois et dix ans. Epreuves qu'elle a évoquées dans les livres-témoignages "Deux petits pas sur le sable mouillé" et "Une journée particulière" (Les Arènes, 2011 et 2013, J'ai lu, 2013 et 2014). C'est à cette période qu'elle a rencontré Thérèse Sambou, une Sénégalaise qui a alors pris soin de leur famille et à qui le roman est dédié.
Anne-Dauphine Julliand a fait le choix de la fiction "pour gagner en liberté et en contraintes. Je ne voulais pas raconter la vie de gens que je connaissais mais me balader en toute liberté dans ces sujets". Elle s'est aussi beaucoup documentée à l'hôpital Robert-Debré et en Casamance. "Je me suis nourrie de mes visites au Sénégal et de mes conversations avec une Thérèse, cette femme, que j'ai rencontrée il y a 14 ans et qui m'a expliqué le Sénégal. Un pays où on meurt encore de fatalité. Thérèse m'a libérée de cette peur très occidentale de la mort et du mort. Elle m'a permis un apaisement par rapport à la mort."
"Jules-César" met bien en évidence le quotidien de cette famille séparée pour la bonne cause mais pleine d'amour. La culpabilité par rapport à la maladie, l'ambivalence science/croyance, le déracinement, la clandestinité, l'oisiveté, le manque d'argent, la répartition traditionnelle des rôles hommes-femmes, grâce notamment au voisin, à la maîtresse d'école, au camarade de plonge, à l'assistance sociale. "Les personnages secondaires sont très travaillés car ils représentent l'humanité, chacun de nous avec ses zones d'ombre. M. Jeanjean est aigri, bougon, à cause de multiples petites déceptions dans la vie. Il se sent victime de tout. Jules-César lui sert de révélateur. L'institutrice symbolise la peur des différences. Chacun des personnages incarne un peu ce qu’on est et notre capacité à avancer en humanité." Il y a aussi ceux qui aident le petit malade et ceux qui changent de point de vue. On passe de bons moments en leur compagnie, en attendant l'opération espérée. On regrette toutefois l'emballement final. Les drames s'enchaînent à partir du retour d'une escapade réussie à la mer au risque de perdre le lecteur. C'est dommage, "Jules-César" tenait très bien sans ces quelques scènes.
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