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mardi 28 janvier 2020

Lina Ben Mhenni, les droits humains et la liberté d'expression avant tout, avant elle

EDIT: La Délégation de l'Union européenne en Tunisie a lancé le 22 mai 2020, jour de la naissance de Lina,  le "Prix Lina Ben Mhenni pour la liberté d’expression". Ce prix récompensera les meilleurs articles défendant les principes et valeurs de la démocratie, des libertés et des droits partagés entre la Tunisie et l’UE. Infos et règlement ici.


A la manif des femmes à Tunis le 13 août 2013, Lina et Sadok Ben Mhenni,
fille et père, père et fille.

"I am the daughter of Dido , Kahina, Aziza Othmana, Saida Manoubia and my mom who gave birth twice and I won't kneel down."

Ainsi Lina Ben Mhenni signait-elle tous ses mails. Lina, chère Lina, ma chère Lina, qui s'est éteinte ce matin du 27 janvier 2020. On la savait malade, maladie auto-immune et insuffisance rénale, et on savait que le rein de sa maman greffé donnait des signes de rejet à répétition. Mais quand même, à trente-six ans!

Lina Ben Mhenni entre ses parents, ses piliers.

Lina Ben Mhenni était née le 22 mai 1983 à Tunis. Cyberdissidente du temps de la dictature du président Ben Ali, cyberactiviste lors de la révolution tunisienne entamée fin 2010 par l'immolation d'un vendeur ambulant à Sidi Bouzid, elle a accompagné et soutenu la lutte pour la démocratie. Son pays, elle l'aimait plus que tout. Elle était la fille de Sadok Ben Mhenni, activiste de la génération précédente, qui fut emprisonné et torturé du temps de la présidence de Bourguiba, et d'Emna Ben Ghorbal, tout aussi démocrate. Sa maman lui avait donné un de ses reins en 2007 et lui avait alors sauvé la vie.

Haute comme trois pommes et protégée.
Lina était la voix de la révolution tunisienne même si elle ne parlait qu'en son nom propre, prenant des positions qui étonnaient parfois ses supporters. Libre, droite, elle avançait, indifférente aux menaces de mort et aux intimidations diverses. Haute comme trois pommes, elle avait une énergie et une volonté inversement proportionnelles à sa taille. C'était une perle, c'était une lionne. En rue, elle était protégée par ses proches, son père, son héros, celui qui l'accompagnait et la soutenait partout, physiquement et moralement, et par des gars à l'imposante stature. Parfois aussi par l'état en cas de menaces plus graves.

En parallèle à son travail officiel, assistante d'anglais à l'université de Tunis, Lina a sillonné la Tunisie dès le début de la révolution, enfilant les kilomètres sans compter. Elle a été voir, a filmé, témoigné. Elle a défendu ceux qui devaient l'être, d'autres blogueurs notamment, et relayé sur son blog, Tunisian girl (ici), ses espoirs et ses combats. Lancé en 2007 comme journal intime, son blog est devenu un site militant dès 2008. C'est elle qui a informé les Tunisiens et le reste du monde de ce qui se passait dans ce petit pays dont la presse était aux ordres du pouvoir. Elle y postait encore une note de réflexion sur le gouvernement dimanche. Au cours de ces quasi dix années, elle a aussi répondu présente à d'innombrables sollicitations de par le monde. "I'm packing again", écrivait-elle alors sur Facebook où on pouvait facilement la suivre.

En plus de ses causes politiques et de la défense absolue de tous les droits humains, Lina a aussi créé des bibliothèques de livres qu'elle distribuait dans les prisons (plus de 40.000) et une chaîne de solidarité pour les médicaments en pénurie en Tunisie.

Elle aimait les chats persans, les chiens, les levers de soleil chez elle à  Ezzahra, ville côtière dans la banlieue sud de Tunis, et à Djerba, son second lieu de vie. Elle aimait la vie, discuter, boire un verre ou deux, la vie. Lina aimait par dessus tout sa mère et son père. Elle appréciait les contacts et les rencontres. Celle de Stéphane Hessel l'avait marquée pour toujours et le décès de ce dernier, le 27 février 2013, lui a causé un chagrin immense.

Si Lina Ben Mhenni a publié "Tunisian Girl, blogueuse pour un printemps arabe" (Indigène Editions, 32 pages, juin 2011, indisponible en format papier) dans la même collection "Ceux qui marchent contre le vent" que l'indispensable "Indignez-vous!" de Stéphane Hessel, sorti le 20 octobre 2010, c'est suite à leur rencontre.


Voici ce que j'en écrivais en juin 2011.
"On se demande parfois à quel moment Stéphane Hessel, auteur du célébrissime opuscule "Indignez-vous!" (Indigène éditions), n'est pas dans une voiture, un train ou un avion. L'ancien diplomate français est partout pour répondre aux questions que son petit livre paru en octobre suscite, pour clamer son indignation face à des situations intolérables ou soutenir des causes qui lui sont chères. Du haut de ses 93 ans, il a évidemment couru à Tunis en ce début d'année. Il y était en mars, moins de deux mois après le départ de Ben Ali.
Il y a rencontré notamment Lina Ben Mhenni, la célèbre blogueuse tunisienne. Et le résultat est là: un petit livre de Lina Ben Mhenni, "Tunisian girl", où elle raconte comment elle a été une "blogueuse pour un printemps arabe", qui sort dans la même collection qu'"Indignez-vous!" Il a été présenté en avant-première au Festival Etonnants Voyageurs à Saint-Malo mais sera en librairie dès ce 16 juin. Lina Ben Mhenni était invitée à Saint-Malo. "J'avais depuis longtemps envie d'écrire un livre. Le virtuel n'aboutit à rien. Le terrain tout seul n'aboutit à rien. L'un est complémentaire de l'autre."
Dans ce bref ouvrage, vif et documenté, la blogueuse raconte la révolution qui s'est mise en marche en Tunisie avec l'immolation de Mohammed Bouazizi en décembre2010 et a triomphé le 14 janvier 2011 avec le départ du dictateur Ben Ali. Mais elle la replace dans le fil de l'histoire de son pays, et revient notamment sur la manifestation du 22 mai 2010, immense, contre la censure. Elle explique comment internet, Facebook, Skype, les blogs, etc., ont contribué à informer les gens et ainsi à les mobiliser.
Elle-même vient pourtant de démissionner d'une commission sur les médias parce qu'elle estimait y perdre sa liberté d'expression qu'elle veut absolue: "Je préfère être libre et observer les choses de l'extérieur." Une distance qui ne l'empêche pas d'agir comme elle le raconte, venant souvent sur le terrain pour photographier, enregistrer, noter et communiquer ensuite.
Dans son livre, elle explique pourquoi elle ne veut entrer dans aucun parti et rappelle les manifestations, les intimidations, les menaces, les espoirs fous et les doutes qu'elle et ses amis ont vécus: "Quelqu'un qui a retourné sa veste une fois, peut très bien la retourner une seconde." Ses priorités sont les droits de l'homme, la liberté, dont celle d'expression, la justice et la laïcité. Son livre rappelle intelligemment des faits tout juste passés et veut croire en un avenir meilleur."
Neuf ans plus tard, "Tunisian Girl" vaut toujours pour l'éclairage que ce récit a donné d'une révolution en cours et d'une recherche de la démocratie régulièrement embourbée à cause de divers tourments.




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