Deux cubes qui vont interagir. (c) l'école des loisirs. |
Le titre sonne comme un défi de prononciation. Pas la célèbre archiduchesse à chaussettes ou la pie aux deux nids. Non. Bien plus simple à dire. Quoique. "Ch" "ch" "ou" "ou". Bref, "Chantier Chouchou Debout", le titre du dernier album en date d'Adrien Albert (l'école des loisirs, 40 pages, mars 2022), valeur sûre de la nouvelle génération de l'éditeur parisien qui était tout récemment en résidence au Wolf, la maison de la littérature de jeunesse installée à Bruxelles à deux pas de la Grand-Place.
"Chantier Chouchou Debout" donc. Qui se
douterait que ce titre mystérieux détient tous les ingrédients de l'histoire
drôle et déjantée qui y sera proposée. Le chantier est celui de Mamie
Georges qui entend "nettoyer sa maison en grand" - on verra que ce
sera même en très grand. Chouchou est le nom de la jeune narratrice qui va passer
le week-end chez sa Mamie Georges. Debout pour les méthodes de réveiller la
jeune invitée le dimanche matin.
Une histoire jubilatoire, qui se moque de la réalité tout en respectant sa
logique, qui fait rire aux éclats et stimule l'imagination, bien dans la
veine d'Adrien Albert
(lire
ici), le spécialiste des explorations de la famille et des moyens de
locomotion, un deltaplane en l'occurrence.
"Chantier Chouchou Debout" débute dès
la page de titre où apparaît le deltaplane écarlate transportant Maman et Chouchou.
L'aile se pose sur le toit de la maison de Mamie Georges où se font les
adieux mère-fille, toit relié au sol par une gigantesque échelle.
La grand-mère accueille Chouchou de loin. Elle bougonne parce qu'elle veut
consacrer son samedi au grand nettoyage de sa maison. Au travail! Elle en sort, par la porte, le canapé, la baignoire, la harpe, le frigo, le piano, bref
tout son contenu et enfourne TOUT dans une immense machine à
laver rouge installée dehors. Tout, sauf les verres, trop fragiles, qui,
eux, demandent à être lavés à la main. Pas de dialogue sauf un tonitruant
"Chantier Chouchou!"
Si on rigole devant les scènes tellement décalées et drôles, on remarque les
gestes de tendresse de la sévère Mamie Georges pour Chouchou. Question nettoyage, on n'a encore
rien vu. La grand-mère va aussi démonter toute la maison, toit, murs,
portes, fenêtres et tout engouffrer dans l'immense machine à laver rouge.
Oui oui. Il faudra ensuite tout faire sécher et tout réinstaller autant de
place. Des travaux durs qui sont entrecoupés par des repas avec les mets
préférés de la fillette, "des chips et une petite menthe à l'eau avec une
paille".
Quand arrive le dimanche, Mamie Georges peine à réveiller Chouchou.
"Chouchou debout!" A moins que
Chouchou n'ait envie de tester les méthodes de réveil de son aïeule. Elles
se suivent à bon rythme, incroyables, impossibles, ahurissantes et tellement
amusantes, jusqu'à la toupie finale. "J'adore", dit la petite. On a
rarement vu des scènes aussi déjantées, aussi logiquement et justement
déjantées. Une Chouchou ravie et réveillée accueille alors sa maman qui se
pose cette fois dans le jardin et participe aux agapes des deux complices,
compétées d'une pêche pour faire bonne figure.
"Chantier Chouchou Debout" est une
merveille d'album. Finement construit et extrêmement drôle. Sobrement
dessiné et magnifiquement mis en couleurs. A bien regarder car tout se passe
dans les illustrations et les expressions des personnages. Simple en
apparence mais fruit de nombreuses cogitations. Un régal d'imagination et de
tendresse destiné aux enfants des classes maternelles.
Nettoyage en très grand. (c) l'école des loisirs. |
Huit questions à Adrien Albert
Mon point de départ était le week-end d'une petite fille chez sa grand-mère. Un week-end à deux. Un week-end pour dégager l'affection. Il me fallait doser pour être drôle et ludique. Les gens sont un peu surpris au premier abord mais ils découvrent de grands cœurs à l'intérieur. Au début, je n'avais que deux choses, la maison et la machine à laver, deux gros cubes. Je voulais aussi un livre qui soit comme une maison de poupée où l'on voit l'intérieur des pièces. D'où cette idée de maison jouet, de jeu sur les perspectives. C'est Chouchou qui raconte l'histoire parce que la grand-mère prend beaucoup de place.
Mais ce n'est pas que cela?
Ensuite, c'est devenu plus graphique et plus formel. Plus déjanté aussi. Quand la maison fait la toupie, cela symbolise les chatouilles de la grand-mère pour réveiller la petite fille. Finalement, le livre est plus étrange et moins drôle que je ne l'avais pensé.
Qui est Mamie Georges?
La grand-mère a une personnalité forte, en opposition avec celle qu'on a vue dans "Cousa" ou dans "Au feu, Petit Pierre". J'étais impressionné par les photos de l'Américaine Georgia O'Keeffe (1887-1986). Des femmes fortes, un peu dures. J 'ai choisi l'esprit de ses portraits pour Mamie Georges qui a un prénom masculin qui lui va bien. Elle est un peu décalée, exubérante, déjantée à la marge.
Pourquoi une mamie au fond?
J'aime bien faire des histoires avec des mamies. Quand tu racontes des histoires avec des enfants, les parents empêchent un peu l'aventure. Les grands-parents la permettent davantage sans que les enfants ne soient pas seuls. Ils ont la bonne distance affective.
On continue l'exploration des moyens de transport?
Le deltaplane est un petit plaisir de moyen de transport. Il m'a aussi permis que la mère dépose vraiment son enfant. Elle le laisse sur le toit et il descend par l'échelle posée.
Comment êtes-vous au fond arrivé en littérature de jeunesse?
Après trois ans de droit, j'ai fait les beaux-arts avec un intérêt très fort pour le cinéma, tout en faisant en parallèle un tas de petits boulots pour tenir, métallurgiste, vidéaste, majordome, cuisinier, brûleur de meubles. Je dessinais tout le temps, testant tous les genres, naturalisme, dessin de presse... A 25 ans, j'ai réalisé un bestiaire chinois mythologique et je me suis demandé si ce ne serait pas pour un éditeur jeunesse.
Et?
J'ai envoyé le livre à l'école des loisirs. Anaïs Vaugelade qui était dans le comité de lecture l'a refusé mais m'a encouragé à continuer. Etait-ce de la politesse? Autre chose? En tout cas, j'ai pris cette réponse pour une commande et j'ai réalisé "Seigneur lapin". Anaïs Vaugelade m'a dit oui mais elle m'a fait tout recommencer. Elle m'a appris ce qu'est un album narratif. Elle m'a appris le métier, raconter des histoires aux enfants, par le texte et surtout par le dessin. Elle m'a appris à faire des livres pour enfants. Il y a un enfant derrière chacun de mes livres. En réalité, j'ai eu envie de faire des livres pour enfants en faisant des livres pour enfants.
Qu'appréciez-vous dans le métier?
J'aime avoir une éditrice, pour le recul qu'elle a par rapport à mon travail et pour faire des livres avec quelqu'un car écrire et dessiner est un boulot solitaire.Quand je fais un livre, j'aime beaucoup la phase de découpage, le rythme, c'est comme les montages vidéo que je faisais aux Beaux-Arts en remontant des classiques. D'abord le découpage, ensuite le rythme et les couleurs, enfin le rapport des couleurs et des intensités. "Petit Pierre" était intense, "Simon sur les rails" sourd. J'ai toujours regardé beaucoup de peinture et je continue à en regarder beaucoup.Le savoir-faire narratif, maintenant je l'ai appris et il est devenu plus intuitif. J'ai quand même quinze ans de métier. Au début, je faisais tout à l'intuition, c'était épuisant. Maintenant que j'ai davantage de savoir-faire, je peux davantage jouer. Je m'amuse beaucoup plus qu'avant. En même temps, quand on maîtrise bien, on peut se mettre plus en péril, avoir plus l'ambition de se renouveler, relever de nouveaux défis.
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