Caire Castillon, lauréate 2022. |
Dix titres étaient sélectionnés pour la sixième édition du prix Vendredi, prix de littérature ado créé en France en 2016, doté de 2.000 euros par la Fondation La Poste et décerné pour la première fois en 2017 (ici). Ce lundi 7 novembre, le suspense s'est achevé.
A l'unanimité, le jury a désigné la romancière Claire Castillon, 47 ans, se partageant entre littérature adulte depuis 2000 et littérature ado depuis 2013, comme sa lauréate 2022 pour son roman "Les longueurs" (Gallimard Jeunesse, Scripto, 192 pages), sorti le 13 janvier, à l'élégante, intrigante et inquiétante couverture illustrée par Marion Fayolle. Le jury a souligné sa qualité littéraire et le courage de Claire Castillon d'avoir su écrire sur un tel sujet. Le "tel sujet" est la confession à la première personne du singulier d'Alice, dite Lili, 15 ans, sous l'emprise d'un pédophile quadragénaire, ami de sa mère, qu'elle "aime" depuis qu'elle a 8 ans. Qu'elle croit aimer.
Des romans pour ados sur la pédophilie, on en a déjà eu. Celui-ci est différent, par l'angle, par l'attention à cette sidération qui mène à l'emprise et bien entendu par la qualité du style. Claire Castillon écrit sec, ne cache rien. Elle fait confiance à ses lecteurs, à partir de 15 ans selon Gallimard Jeunesse. Elle écrit ce qui se passe, virevoltant de chapitre en chapitre entre les différents âges d'Alice. Ici elle a 8 ans. Dans le suivant, 15 ans. Puis 8 ans de nouveau. Quels hameçons que ces petites phrases qui ouvrent régulièrement les 29 chapitres, "J'ai huit ans", "J'ai quinze ans", "J'ai dix ans"... Le lecteur suit. Découvre par la voix d'Alice sa vie avec sa maman - le père qu'elles appellent PP pour Papa Parti, a filé en Amérique et revient peu. Un duo féminin qui apprécie les visites de Georges qui deviendra vite "Mondjo". Dans le texte, Alice raconte ce qui se passe avec cet homme tellement avenant. Les séances d'escalade, les week-ends, les amusements, la complicité. Et puis le reste. Les "gouzgouz". Ce reste qu'elle ne parvient pas à partager avec sa mère. Roman vertigineux, "Les longueurs" arrive à se glisser dans la tête d'Alice sans une fausse note.
Pour en lire en ligne le début, c'est ici.
A la sortie du roman, Claire Castillon a adressé une lettre à ses lecteurs et ses lectrices. La voici.
"Chères lectrices, chers lecteurs,
Écrire pour la jeunesse n'a jamais été pour moi une façon de faire "moins". Ni moins fort, ni moins dur, ni moins puissant. Parce que je sais qu'une voix est une voix, et que celle de l'enfant qui s'impose à moi quand j'écris pour la jeunesse a l'âge de l'enfant que j'étais à 8, 12 ou 15 ans.
En commençant l'écriture des "Longueurs", je me suis demandé comment écrire pour la jeunesse l'histoire d'une enfant qui se retrouve face à un pédophile. Cette petite héroïne dans ma tête a pris le dessus. C'est son regard à elle qui est venu recouvrir le mien.
Quand je lisais, enfant, j'aimais les livres «vrais», sur les gens, les familles, sur les enfants et leurs douloureuses traversées, quelles qu'elles soient. Alors il était important pour moi d'évoquer ce thème de la sidération. La petite qui ne bouge pas afin que rien ne bouge. D'ailleurs, je me souviens d'une nuit de classe de neige où mon institutrice s'est assise sur mon lit. Elle n'a pas bougé, enfin je crois, mais elle m'a regardée. J'ai fermé les yeux en attendant que ça s'arrête. Elle n'a peut-être pas cherché à mal. Mais son regard m'a pénétrée. La nuit, le bord de mon lit, c'était la place de mes parents et de personne d'autre. Et j'ai eu peur. Je sais aussi que si elle m'avait touchée, jamais je n'aurais bougé. J'ai sans doute eu envie d'évoquer ce moment d'intimité glaçant. De faire d'une zone trouble un pays de clarté. Si toutes les mères voyaient, si tous les enfants disaient non.
Dans ce roman, face à l'emprise, face à cette sorte d'aigle noir lumineux que représente le meilleur ami de sa mère, Alice va s'en sortir. Ça non plus, je ne l'ai pas décidé dans un but commercial de happy end, mais plutôt dans un chemin d'amour entre elle et sa mère. Je souhaitais, sans doute pour moi, que la mère n'aie pas de doute, croie sa fille, et l'aide à se sauver. Je les voulais réunies à la fin, et ça, c'est la seule chose que je savais au départ.
Merci à vous tous, passeurs d'ouvrages mais plutôt d'âmes secrètes, de laisser celle-ci vivre son tracé de livre.
On n'a jamais fait mieux pour dire.
A bientôt,"Claire Castillon
Le prix Vendredi a également attribué deux mentions: une à "On a supermarché sur la Lune", de Sébastien Joanniez (La joie de lire) et une à "Et le ciel se voila de fureur", de Taï-Marc le Thanh (L'école des loisirs).
Le prix Vendredi 2022 et ses deux mentions. |
Jury: Michel Abescat ("Télérama"), Raphaële Botte ("Mon Quotidien", "Lire"), Philippe-Jean Catinchi ("Le Monde"), Françoise Dargent ("Le Figaro"), Marie Desplechin (auteure), Sophie Van der Linden (auteure et critique littéraire), Nathalie Riché (critique littéraire) et Sylvain Pattieu, lauréat 2021
2022 Claire Castillon pour "Les longueurs" (Gallimard Jeunesse)
2021 Sylvain Pattieu pour "Amour chrome" (l'école des loisirs, lire ici)
2020 Vincent Mondiot, pour "Les Derniers des Branleurs" (Actes Sud junior,
lire ici)
2019 Flore Vesco, pour "L'Estrange Malaventure de Mirella" (l'école des loisirs, lire ici)
2018 Nicolas de Crécy, pour "Les amours d'un fantôme en temps de guerre " (Albin Michel, lire ici)
2017 Anne-Laure Bondoux, pour "L'Aube sera grandiose" (Gallimard, lire ici)
2019 Flore Vesco, pour "L'Estrange Malaventure de Mirella" (l'école des loisirs, lire ici)
2018 Nicolas de Crécy, pour "Les amours d'un fantôme en temps de guerre " (Albin Michel, lire ici)
2017 Anne-Laure Bondoux, pour "L'Aube sera grandiose" (Gallimard, lire ici)
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