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mardi 29 novembre 2022

Retrouver Stéphane Hessel, l'indigné

La genèse de "Indignez-vous!". (c) Indigène Editions.

Le 20 octobre 2010, jour du 93e anniversaire de Stéphane Hessel - né le 20 octobre 1917 à Berlin, mort à Paris le 27 février 2013 - sortait en librairie un minuscule ouvrage, trente-deux pages en petit format, qui allait être à l'origine d'un effet boule de neige comme on n'en avait jamais vu dans l'édition. C'était "Indignez-vous!" de Stéphane Hessel (Indigène Editions, 3 euros), un vieux monsieur qui avait marqué la diplomatie, la littérature, la poésie et le cinéma mais dont de nombreuses générations découvraient le nom. Le cri d'indignation d'un grand résistant, rescapé des camps de Buchenwald et Dora, corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, ancien diplomate. Un sage qui portait un culte inouï à la poésie.

De sa belle voix sonore, hypnotique, Stéphane Hessel nous disait au téléphone lors de cette sortie: "Trois problèmes très graves aujourd'hui imposent qu'on se mobilise: la société (l'injustice sociale aggravée), la situation écologique de la Terre et la violence (dont celle qui sévit en Palestine, particulièrement dramatique, où tout un peuple n'a toujours pas son Etat)." Il avait choisi de les exposer succinctement dans son opus, avec "le souhait que les lecteurs en comprennent la gravité, ne laissent pas faire, s'indignent, s'engagent et travaillent en réseaux. Il faut qu'il y ait une pression populaire contre les Etats incapables d'action à ces sujets."

C'était il y a douze ans. La sortie de l'opuscule fut comme une secousse qui ébranla les consciences. Il s'en est aujourd'hui vendu largement plus de quatre millions d'exemplaires à travers le monde (dont 2.571.357 exemplaires en France et Belgique) en 44 traductions. L'auteur a parcouru le monde pour le présenter, réveiller les consciences, les enflammer. Et depuis? Les trois problèmes évoqués par le fou de poésie à la mémoire prodigieuse (car exercée, disait-il) se sont aggravés. D'autres motifs d'indignation se sont ajoutés, les talibans en Afghanistan, la guerre en Ukraine, le traitement réservé par l'Europe aux réfugiés et aux sans papiers, l'ultra-libéralisme triomphant... Qui en parle, à part les éternels convaincus?
Depuis sa mort il y a près de dix ans, Stéphane Hessel nous manque tant.
Mais au fond, comment un vieux monsieur élégant, le vieil oncle idéal ayant mille histoires passionnantes à raconter à son auditoire, s'est-il retrouvé auteur d'un best-seller mondial? C'est ce qu'explique remarquablement la bande dessinée biographique "Indignez-vous!, la violente espérance de Stéphane Hessel", de Frédéric Debomy au scénario et Lorena Canottiere aux dessins, avec la complicité de sa fille Anne Hessel, l'aînée de ses trois enfants (Indigène Editions, 64 pages). 

Car si "Indignez-vous!", c'est Stéphane Hessel, Stéphane Hessel n'est pas que "Indignez-vous!". Bien au contraire. La bande dessinée relate à la fois la genèse de la publication et le parcours de sa vie exposé lors diverses rencontres à ceux qui seront ses éditeurs. 

(c) Indigène Editions.
Tout commence le 17 mai 2009 lors d'un discours improvisé au Plateau des Glières.  Stéphane Hessel dénonce devant la jeunesse présente la "scandaleuse législation qui parle d'un délit de solidarité" contre laquelle est créée une pétition. Il poursuit: "Résister c'est refuser d'accepter le déshonneur... C'est s'indigner lorsque quelque chose est proposé qui n'est pas conforme aux valeurs fondamentales, celles que nous avons essayé de faire passer à travers le Conseil National de la Résistance.... sans quoi notre humanité risque de péricliter."

Ces mots du cœur lui vaudront une visite quelques mois plus tard de l'éditrice Sylvie Crossman, frappée par son appel à l'indignation à la jeunesse (illustration en haut de note). La discussion porte sur les notions liées de résistance et d'indignation. Les auteurs de la bande dessinée ont eu la très bonne idée de présenter l'élaboration du mini-livre "Indignez-vous!" en parallèle avec la vie de résistant de Stéphane Hessel, rapportée d'entretien en entretien avec Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou, ses éditeurs. Non de façon chronologiquement linéaire mais par séquences, l'appel du général de Gaulle le 18 juin 1940, les camps, les évasions, la résistance, les arrestations et bien sûr la poésie, "expérience suprême" de sa vie. Suivent la Libération, les déménagements, les Nations Unies, la commission présidée par Eleanor Roosevelt pour rédiger la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Gay Pride parisienne de 2000, le choix du titre. L'emballement médiatique à la sortie du livre, les réactions des lecteurs par courrier et au téléphone, les discours ici et là, les premières traductions (44 actuellement), les voyages y liés, la rencontre avec la bloggeuse tunisienne Lina Ben Mhenni, la traduction en langue arabe, la rencontre avec le Dalaï-lama, l'approche sereine de la fin, à 95 ans, et le passage de témoin.

Le monde entier s'empare du livret. (c) Indigène Editions.

En une cinquantaine de pages où se jouent l'un de l'autre un sépia orangé et un bleu de ciel du sud, l'album retranscrit avec vigueur et vivacité une existence portée par des valeurs, qu'elle soient la démocratie, l'art ou la famille. Quelle traversée de siècle! Le récit de la bande dessinée se complète utilement en fin de volume de notes détaillées expliquant les personnes ou les scènes abordées et d'une biographie minutieuse illustrée de quelques photos. De quoi ne jamais oublier le résistant indigné et l'amoureux de la vie que fut Stéphane Hessel, et perpétuer sa mémoire. Nous avons tellement besoin de ses mots.

La fin d'un enfer. (c) Indigène Editions.







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