Gérard de Cortanze (c) Witi DE TERA Opale-Leemage-Albin Michel . |
Natifs des années 50 et 60, ce roman est pour vous. "Laisse tomber les filles", de Gérard de Cortanze (Albin Michel, 439 pages) fait résonner les chansons qui passaient alors dans les transistors, ou qu'on écoutait sur le tourne-disques du salon familial. Il suffit d'en lire le titre pour fredonner comme France Gall. Le livre n'est pas que musical bien entendu, même s'il est accompagné d'un triple CD (EPM, à écouter ici), bande-son de ce texte où l'on se retrouve ado dans les années 60.
"Laisse tomber les filles" nous fait connaître un quatuor, trois garçons et une fille, qu'on va côtoyer du 22 juin 1963 au mois de septembre 2015. On suit leurs itinéraires, leurs joies, leurs désirs, leurs espoirs, leurs engagements politiques, leurs déceptions, leurs chagrins. De manière extrêmement précise pour les années 63 à 68 qui occupent les deux tiers du roman, de manière plus accélérée ensuite. Le tout filtré par les éléments historiques qui se déroulent en parallèle, principalement en France, mais aussi dans le monde. En lisant Cortanze, on découvre qu'on ne les avait pas oubliées, toutes ces actualités, mais perdues dans notre mémoire. On est en territoire connu et c'est un plaisir de s'y retrouver le temps de ce roman, parfois écrit un peu vite.
Lorenzo, Antoine, Michèle (dite aussi Winnie) et François figurent parmi les 200.000 adolescents qui assistent le 22 juin 1963 au concert gratuit donné place de la Nation pour le premier anniversaire du magazine "Salut les copains". Une première à l'époque. Chacun des quatre a dû déployer des ruses pour convaincre ses parents ou se rendre au concert sans leur accord. Gérard de Cortanze choisit de suivre successivement les quatre personnages, permettant ainsi au lecteur de se faire une première idée de leurs opinions et de leur origine sociale. Il y a l'intellectuel fou de cinéma, le fils d'ouvrier, le rocker au cœur tendre et la féministe avide de liberté. On apprend à les connaître vraiment, à l'école, en famille, au collège, au lycée, pendant leurs sorties, durant les vacances, à la fac... Dans leurs amours aussi, qui sont tout sauf simples.
Bien rythmé par les chapitres datés, le roman sonnera différemment selon que l'on a vécu ou côtoyé les années 60 et leurs multiples événements ou pas. En effet, extrêmement documenté, il rappelle toute l'histoire de cette époque, dans la France confrontée à la Guerre froide et à la montée du féminisme. Un mouvement dans lequel Michèle s'investit immédiatement à fond. Et cela va cogner dur entre la demoiselle qui veut se libérer et les trois gaillards amoureux d'elle qu'elle oblige à penser. Et à partager. Car bien sûr, Michèle est celle qui mène la danse de cet agréable roman, quitte à le payer cher.
De passage à Bruxelles, Gérard de Cortanze a répondu à mes questions.
Sept questions à Gérard de Cortanze
Quel a été l'élément déclencheur de ce roman sur mai 68 qui paraît l'année des 50 ans de mai 68?
Je suis passionné par l'histoire. Je pense que, pour parler du monde contemporain, il faut se pencher sur le passé. J'avais écrit avant un livre sur les "Zazous" (Albin Michel, 2016). Les personnages avaient quinze ans à la guerre 40-45. Ils ont suivi la lutte de notre armée contre l'occupant en chantant. Cela a donné le swing à la fin de la guerre. Les zazous sont la première génération à avoir été réunie autour d'une classe d’âge, même s'ils ne sont pas encore nommés les adolescents. Ils annoncent le mouvement yéyé, les baby-boomers. Les zazous vont avoir des enfants et des petits-enfants.
En 1945, De Gaulle a souhaité "douze millions de beaux bébés à la France". En réalité, il y a eu dix millions de bébés. La première génération qui ne connaissait pas la guerre, les restrictions, la première qui pouvait consommer...
Dans ce livre, je raconte l'histoire de France des cinquante dernières années. Le point de départ est le concert gratuit à Nation le 11 juin 1963 pour le premier anniversaire de la revue "Salut les copains". Un rassemblement au nombre inouï dont Edgar Morin appellera les participants les "yéyés". Le point d’arrivée est le 11 janvier 2015, le rassemblement au même endroit de deux millions de personnes qui ne défilent pas pour le twist mais pour défendre la démocratie et pour la liberté, choses qu'on croyait acquises depuis 1945.
On suit quatre personnages et les rebondissements de leurs vies. Quatre Français comme tout le monde, avec leurs joies et leurs tristesses. Comme dans une comédie italienne. Des destins individuels ballottés dans la grande histoire.Pourquoi avoir choisi trois garçons et une fille?
Je voulais que le personnage principal soit une fille. Ce sont plus les filles et les femmes qui ont fait changer la société que les hommes. Ce sont elles qui ont porté les luttes des femmes, la contraception, l'avortement… Mes parents se sont mariés parce que ma mère était enceinte.Michèle n'est-elle pas votre personnages préféré même si vous la malmenez?
Le personnage féminin mène la barque, Michèle, éprise avant tout de liberté. Elle est aux premières loges des luttes. Toute sa vie, elle a été une combattante de la liberté féminine mais elle a eu une triste fin de vie. Elle paie le prix d'une vie qu'elle s'est fabriquée. Elle est la représentante d'une génération un peu perdue. Elle paie les pots cassés. La génération suivante va mieux réussir sa vie. L'avortement sera libre et gratuit. C'est déjà une épreuve en soi, pas besoin de lui en ajouter une autre. Mais vous avez raison, elle a un rapport maternel curieux à ses enfants.A vous lire, on voit que vous avez constitué une documentation gigantesque.
Je fais toujours précéder la rédaction d'un roman d'un temps de recherche pour reconstituer une époque. Ensuite j'écris très vite. J'ai pris trois mois pour ce livre. Je pense que la vitesse d'écriture confère de la vitalité au livre, un côté virevoltant comme le sont les protagonistes.N'avez-vous pas fort accéléré les quarante dernières années?
Non. La période 63-68 occupe les deux tiers du livre. Pour montrer qu'à l'adolescence, le temps est sans fin. Plus tard, les années passent beaucoup plus vite dans le livre. Comme dans la vie.Avez-vous imaginé la réaction de lecteurs plus jeunes qui n'ont pas connu les années 60?
Je destine le livre aux baby-boomers qui ont vécu cette époque. Ils vont s'y retrouver. J'espère leur faire plaisir. Et je le destine aussi à leurs enfants et petits-enfants. Le titre a été donné par mon fils de vingt ans. Moi, j'avais pensé à "Yéyés" ou à "Retiens la nuit", mais c’était trop poétique.Les ados que vous racontez semblent plus politisés qu'aujourd'hui.
Je pense qu'on était davantage politisé dans l'ensemble à cette époque que maintenant. C'est le temps Est-Ouest. Mes personnages le sont très fort. Ils font partie de cette génération qui va faire Mai 68. A l'époque, on discutait de De Gaulle, du communisme, de la Guerre froide. Mais un reportage de "5 colonnes à la une" des années 60 a montré des jeunes qui disaient "Hitler, connais pas".
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