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mardi 7 juillet 2020

L'infinie richesse d'une enfance solitaire

#confinothèque52
Aujourd'hui, un de ces albums jeunesse qui ont croisé la covid19 et sont arrivés en librairies juste avant ou en même temps que la fermeture de ces dernières à cause des mesures de confinement.

Les environs de la ferme de Gladys. (c) Rouergue Jeunesse.


A quoi pense-t-elle, cette énigmatique "Gladys" en couverture du nouvel album pour enfants de Ronald Curchod (Rouergue Jeunesse, 64 pages), son troisième chez l'éditeur? Cheveux sombres, rouge à lèvres assorti à sa robe d'été à pois roses (surprise à leur propos en quatrième de couverture), fond orange, elle darde ses yeux bleus dans ceux du lecteur. A moins qu'elle ne rêve?
Les pages de garde initiales nous apprennent que Gladys est la mère de l'auteur-illustrateur, artiste suisse installé à Toulouse. Des informations pratiques suivent une longue liste de dédicaces: les illustrations originales ont été réalisées à la tempera (technique de peinture basée sur une émulsion, comme la peinture à l'œuf); leur reproduction dans l'album est le fruit du travail du génial photograveur qu'est Cédric Cailhol et de l'artiste (tout aussi génial).

La première double page nous montre Gladys chez elle, jeune, dans une robe à pois du même tissu qu'en couverture. Sa coiffure en boule sombre fait ressortir ses yeux bleus. Deux chèvres l'entourent. Comme dans tout l'album, le texte sur papier quadrillé de cahier d'écolier est sobre:
"j'ai onze ans
on habite une ferme solitaire
dans la montagne"
Les deux somptueuses doubles pages suivantes plantent le décor, la ferme d'abord, ses environs ensuite, dans de splendides tons de nature, herbages, ciel, rivière, montagne. Si on regarde bien, on distingue de discrètes lettres blanches dans des phylactères posés ici et là. Des phylactères qu'on retrouve à la double page suivante, sans image, elle, placés sur différents mots d'un texte poétique qui célèbre en courtes phrases la vie à la campagne.

"Gladys". (c) Rouergue Jeunesse.

Bien sûr, il est mieux de savoir lire pour goûter pleinement cet album d'une originalité rare,  élégamment construit dans un rapport texte-images prodigieux. A gauche le texte, à droite l'image, on suit Gladys qui égrène ses souvenirs dans une langue française accomplie et des images superbes incitant à la rêverie et au partage. On est avec elle sur la montagne guettant l'aigle, on est avec elle au creux de la nuit à la recherche des blaireaux, on est avec elle et son frère chasseur, on est avec elle et son grand-père savant qui partage ses connaissances d'instituteur... Il en est ainsi jusqu'au bout de l'alphabet discrètement égrené via les phylactères qui suivent l'ordre des lettres mais acceptent quelques intrus. A pour Aigle, B pour Blaireau, C pour Chamois, mais N pour Noisette à la page du E de l'Ecureuil. Le texte s'avère aussi enchanteur qu'informatif et incite au jeu de retrouver dans les images les lettres entrevues.

"Gladys". (c) Rouergue Jeunesse.

"Gladys". (c) Rouergue Jeunesse.

La règle alphabétique joyeusement chahutée donne lieu à une merveilleuse série de moments d'enfance, en famille ou dans la nature. La jeune Gladys grandit et devient de plus en plus familière au lecteur qui se reconnaîtra peut-être dans certains de ses traits de caractère et apprendra certainement des tas de choses sur la vie dans une ferme de la campagne suisse. Les saynètes se succèdent, toujours aussi remarquablement écrites et illustrées. Jusqu'au retour d'une page de texte uniquement et une terrible image de désolation ensuite, l'incendie de la ferme. La finale, texte à droite et image à gauche cette fois, révèle l'incroyable force de caractère de Gladys (et sa date d'anniversaire):
"on sauve les animaux
toute la ferme brûle...
on a dû tout reconstruire,
tout recommencer!"
Une phrase qui résonne encore quand on découvre les gardes finales, qui sont les dessins complétés des silhouettes du début. Que de chemin parcouru! "Gladys" est un de ces albums rares qui font chaud au cœur et aux yeux. On en sort plus riche et plus fort. Et tant pis si le livre demande un petit effort. Tant mieux même. Les enfants ne sont pas des idiots, on l'oublie parfois. Si Ronald Curchod joue une fois de plus avec justesse sur l'étrangeté de son propos, l'artiste a l'originalité sûre et enchante tant par sa beauté plastique que littéraire. Ne ratez pas cette impeccable "Gladys"! Pour tous à partir de 7 ans.

"Gladys". (c) Rouergue Jeunesse.







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