Nombre total de pages vues

mercredi 7 mars 2018

Walter Benjamin, une vie au-delà des attentats

Walter Benjamin.

Qui connaissait Walter Benjamin avant le 22 mars 2016? Les siens évidemment, peut-être ceux qui l'ont croisé promenant son chien dans un coin chic d'Ixelles (Bruxelles) ou qui ont pris les mêmes Thalys vers Paris que lui... Un Belge comme tant d'autres, avec ses histoires, ses joies, ses chagrins, ses rêves. Jusqu'à ce mardi meurtrier. Regard perçant, lunettes d'écaille, crâne chauve et barbe naissante, tel est soudainement apparu sur les écrans de télé ou sur Facebook Walter Benjamin, un des grands blessés rescapés des attentats de Bruxelles. Un gars dont on ne savait rien et qui s'est immédiatement imposé par la force de ses propos.

Pendant des mois, on a lu, on a vu, on a entendu sa rage, son désespoir, ses questions, ses emportements, son désir de guérir aussi, de remplacer cette foutue jambe arrachée lors de l'explosion à l'aéroport de Zaventem, de soigner les multiples fractures ouvertes de l'autre. Au-delà de tout cela, son désir de vivre, pour sa fille Maurane qui habite en Israël et pour lui-même.

Quasi deux ans après ce jour funeste, qui changea le destin de milliers de personnes, Belges ou non, touchées dans leur chair ou dans leur cœur, Walter Benjamin publie un livre-témoignage puissant, "J'ai vu la mort en face, une vie après l'attentat" (Editions du Rocher, 236 pages). Il y relate un an de sa vie depuis le jour où celle-ci a basculé. Ce 22 mars où il s'était levé tôt pour prendre l'avion vers Israël et y rejoindre sa fille chérie. Ce 22 mars où son chemin a croisé celui de terroristes déterminés.

Ce 22 mars où il s'est réveillé dans l'aéroport juste après l'explosion. Il est assis, a perdu une jambe, saigne abondamment. Il est seul dans un paysage de guerre. Une solitude d'un quart d'heure qui lui paraîtra une éternité. "Vous voulez téléphoner à quelqu'un?" Hassan, un électricien de l'aéroport, s'est approché de lui. Il ne le quittera plus jamais, mais il ne le sait pas encore. Un militaire arrive aussi, le sauveur au sens physique, lui, qui pose un garrot sur sa jambe blessée. Ensuite c'est l'hôpital, les craintes, les angoisses, les opérations, les bonnes et les mauvaises nouvelles, et déjà l'indignation: pourquoi l'aéroport n'était-il pas protégé? pourquoi le métro a-t-il continué à rouler? Walter Benjamin parle beaucoup et il parle fort, sans se soucier de ce qu'on pensera.

Son livre est le journal de cette nouvelle vie entamée de force le 22 mars, quand il était assis dans l'aéroport. Il raconte tout, sa colère contre le destin - il n'a même pas 50 ans -, les questions rétrospectives ("et si je n'avais pas...", "et si j'avais..."), stériles mais inévitables, les insomnies, les cauchemars, l'aspect médical et celui plus privé de ses relations avec sa famille ou avec des femmes dont il tombe amoureux. Il consigne dans ces pages ses notes postées sur Facebook et les réactions qu'elles ont suscité, les rencontres avec les médecins, le personnel médical, le Roi et la Reine, les visites quotidiennes d'Hassan, le musulman devenu frère de cœur du Juif qu'il est, celles du jeune Oussama, issu de Molenbeek, commune bruxelloise de mauvaise notoriété.

Dans ce témoignage sans fard, Walter Benjamin apparaît tel qu'il est: un homme fort, qui veut revivre, sait la guérison longue et la résilience au bout du chemin. On le suit dans ce chemin plein d'épines où luit régulièrement le soleil parce que l'auteur accepte de sentir sa chaleur bienfaisante. Sa rééducation se double évidemment de ses indignations, notamment contre le gouvernement belge qui ne se soucie pas assez des rescapés blessés. Il parle beaucoup et il parle fort, sans se soucier de ce qu'on pensera. S'il a vu la mort en face, l'homme souvent vêtu de noir, équipé d'une prothèse électronique, a repris goût à la vie, aux voyages, au Thalys, aux promenades avec son chien. Non sans mal, non sans crises, non sans angoisses, mais dans l'idée que cela ira mieux.

Son livre est également précieux parce qu'il aborde plusieurs fois la question des relations entre Juifs et musulmans dans l'idée d'une meilleure compréhension réciproque. Si Walter et Hassan sont devenus frères pour toujours, si Oussama et ses potes voient dorénavant les Juifs différemment, on fait déjà un petit pas vers un monde plus digne.

Walter Benjamin évoque également dans ses propos Mohamed El Bachiri, qui a perdu sa femme, la mère de leurs trois enfants, également auteur d'un livre post-attentat bouleversant, "Un jihad de l'amour" (JC Lattès, lire ici). "J'ai vu la mort en face" est un livre sans victimisation ni haine des terroristes, plein d'empathie pour les autres, victimes des attentats ou victimes de la vie, et de reconnaissance pour tous ceux qui l'ont soigné, l'ont et l'accompagnent toujours.









Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire