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jeudi 17 septembre 2020

Choderlos de Laclos à la Villa Médicis

La villa Médicis à Rome accueille chaque année plusieurs pensionnaires de différentes disciplines artistiques.
La villa Médicis à Rome accueille chaque année plusieurs pensionnaires
de différentes disciplines artistiques.

Nombreux sont les artistes français, de toutes disciplines dont la littérature, qui ont séjourné comme pensionnaires à la Villa Médicis à Rome, une fois leur projet de travail accepté. Quelques auteurs en ont fait ensuite le cadre d'une publication. Hervé Guibert en 1989 dans le roman "L'Incognito" (Gallimard). Catherine Meurisse en 2016 dans la bande dessinée post-Charlie "La légèreté" (Dargaud). Samuel Delage en 2018 dans le polar "Arcanes Médicis" (De Borée).

Et maintenant Lise Charles qui, pensionnaire à la Villa Médicis en 2017-2018, y ancre son virevoltant troisième roman en littérature générale, "La Demoiselle à cœur ouvert" (P.O.L., 352 pages), en premières sélections des prix Wepler et Médicis. Un livre ébouriffant qui se déroule à la Villa Médicis durant la résidence de son narrateur, l'écrivain de 44 ans Octave Milton, et ne se prive pas d'égratigner quelques pensionnaires ainsi que le fonctionnement général du lieu. Un roman étourdissant, d'amour et de création, avec ce que cela suppose de séduction, de jalousie, de cruauté. Et de malhonnêteté.

Un dédale de pages qui se jouent brillamment de leur lecteur qu'elles s'amusent à semer dans un savant labyrinthe, pour mieux le rattraper un peu plus loin. Une plaisante forme épistolaire, datée de 2017 à 2019, par courriel évidemment, pour la plus grande partie du roman. Une fin terrible qui pose la question de la création, de la loyauté du créateur et de son talent finalement.

Lise Charles. (c) Manfredi Gioacchini/POL.
Cet écheveau savamment entremêlé pétille de trouvailles de forme. D'abord les échanges de courriels entre l'écrivain pensionnaire, alter ego masculin de la romancière, et des personnes réelles comme Paul Otchakovsky-Laurens, son éditeur chez P.O.L., Jean-Paul Hirsch, l'attaché de presse, le dessinateur François Matton, son frère dans le texte, Frédéric Boyer qui a repris le poste de directeur de la maison d’édition, et d'autres, imaginaires, comme Livia Colangeli, une ex-, la femme qui pousse Milton à écrire, et même à séduire, qui tire les ficelles en coulisses et ne le lâche pas d'une semelle, une vraie marquise. On rencontre encore Véronique Matton, sa mère, Prune Mordillac, une sous-bibliothécaire qui l'admire énormément, et bien entendu Marianne Renoir, le troisième personnage principal, sa fille adolescente étant le quatrième (par ordre d'apparition). Cette dernière est maître de conférence à université de Nantes, comme Lise Charles elle-même. Elle porte le nom du personnage de son premier roman et est aussi le nom de plume de l'auteure quand elle écrit pour la jeunesse. 

Les mails ne sont pas tout. Qu'ils parlent du quotidien ou discutent de littérature ou d'art. On découvre aussi une nouvelle, des chroniques de magazine, des articles universitaires, et l'impressionnant journal d'une adolescente, volé à sa rédactrice, Louise. C'est qu'Octave Milton a une œuvre à écrire pendant sa résidence. Il abandonnera son projet initial, une enquête sur un de ses ancêtres, architecte au XVIIe siècle, au profit d'un travail beaucoup plus original, et beaucoup plus risqué.

Des faits réels de la vie de l'auteure chez P.O.L., aussi le décès du fondateur de la maison d'édition, le 2 janvier 2018, une proposition de nouvelle à la revue "Décapage" de Jean-Baptiste Gendarme se mêlent à de palpitantes fictions, dont le fil rouge est la rivalité amoureuse, les jeux dangereux de séduction et le prix à en payer. "Les liaisons dangereuses" de Choderlos de Laclos se dessinent en toile de fond de ce roman extrêmement bien construit, qui se lit d'une traite si on s'offre à lui et porte la littérature à son meilleur. "La Demoiselle à cœur ouvert" enchante, séduit et terrifie par sa façon de sonder les jeux de pouvoir et de séduction. Le trio Livia-Octave-Marianne qui évolue dans ce texte à emboîtements est terrible, ne reculant devant rien pour assouvir ses désirs de puissance. Même si manipulation et création ont finalement rendez-vous avec la mort.

Pour lire en ligne le début de "La Demoiselle à cœur ouvert", c'est ici.


Publications

Sous le nom de Lise Charles

  • "La Cattiva" (P.O.L., 2013, Prix de la Romancière)
  • "Comme Ulysse" (P.O.L., 2015, Mention spéciale du Prix Wepler)
  • "La Demoiselle à cœur ouvert" (P.O.L., 2020)

Sous le nom de Marianne Renoir

  • "Le Murmure des sorcières" (l'école des loisirs, 2019)
  • "La princesse Caméléon" (Gallimard Jeunesse, 2019)


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