Florence Seyvos. |
Ouvrir un nouveau roman de Florence Seyvos est toujours une entreprise imprévisible. Où la romancière, par ailleurs traductrice et scénariste (lire ici) va-t-elle nous emmener cette fois? Son écriture précise, concise mais imagée, nous guide souvent vers des territoires un peu étranges. Ou même inquiétants. Des champs qu'on est ravi d'arpenter en sa compagnie. "Une bête aux aguets" (Editions de l'Olivier, 139 pages), son nouveau roman écrit à la première personne du singulier, nous fait côtoyer la peur, ou plutôt les peurs d'Anna, la narratrice que l'on va découvrir à divers moments de sa vie. Un roman magnifique, troublant, ailé, auquel il faut s'abandonner tout simplement.
"Je me suis aperçue depuis quelque temps que je ne croyais plus au monde" est la phrase qui ouvre ce sixième roman en littérature générale de l'auteure. Pourquoi la narratrice ne croit-elle plus à rien, s'étonne-t-elle de tout? Pourquoi craint-elle un fracas définitif qui engloutirait tout? Pourquoi allume-t-elle les lumières le soir? Pourquoi a-t-elle honte d'elle-même? Quelle est cette peur, car elle sait qu'il s'agit d'une peur, qui la paralyse?
Est-ce la rougeole attrapée à douze ans dont elle a failli mourir? Elle se souvient encore aujourd'hui du début de sa guérison quand un homme lui a glissé une pipette dans la bouche:
"Le goût était si atroce que j'ai voulu le cracher, mais au même instant, une fraîcheur comme scintillante s'est répandue dans ma tête et dans ma poitrine. J'ai eu l'impression que ma tête s’ouvrait, et respirait. Mes poumons aussi se sont ouverts, je les ai sentis se déployer comme deux ailes soyeuses et amples. Et pendant ce temps, le scintillement continuait à courir dans mes artères et mes vaisseaux, il gagnait joyeusement mon ventre, y tourbillonnait, il envahissait mes bras et mes jambes jusqu'au bout de mes doigts, de mes orteils."Ce "scintillement" a ressuscité Anna. Mais depuis, la petite fille entend des bruits et des voix, surprend des lumières et des ombres. Elle craint une métamorphose. Elle est toujours sur le qui-vive, elle a peur. Au point de vivre quasiment dédoublée. Et de se détacher du monde, même de ses amis. Prenant et touchant, étrange mais non déroutant, "Une bête aux aguets" nous fait partager le quotidien d'Anna, rythmé par ses comprimés blancs à prendre chaque jour, bleus chaque samedi, ses rêves, ses expériences, ses tâtonnements, son attirance pour le sang et sa quête incessante de vérité. Florence Seyvos nous ouvre l'immense univers de cette enfant qui sent, ressent, et cherche à comprendre. A qui appartiennent les voix, souvent autoritaires, qu'Anna entend? Les odeurs auxquelles elle réagit? Pourquoi cette part de son enfance, comme effacée de ses souvenirs, lui revient-elle par flashs? Est-elle plus étrange quand elle ne prend pas ses comprimés? Elle veut savoir.
"Je veux savoir pourquoi j'entends des voix, pourquoi je me sens différente d'avant ma maladie, pourquoi je peux décoller du sol, pourquoi je dois prendre des médicaments, pourquoi est-ce vous qui me les procurez, je vous savoir ce que vous m'avez donné, la nuit où vous êtes venu."Anna va aller au bout de son chemin, passer les obstacles, souffrir, découvrir des réponses à ses questions, retrouver son passé enfoui à la faveur d'un présent chaque jour différent. Anne grandit mais ne lâche rien. Ni les inquiétudes, ni les peurs, ni les étrangetés ne l'empêchent de tenter d'accéder à ces scintillements, de grandir, de dépasser son passé. Hyper sensible, en communication, en connexion avec tout ce qui l'entoure, Anna finira par percer son propre mystère et à vivre avec lui.
En ces temps où les peurs gouvernent les sociétés et les hommes, "Une bête aux aguets" apporte une réponse littéraire, lumineuse, scintillante, exquisement amenée par une écriture somptueuse et une intrigue subtile au mystère de l'être humain.
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