Son nouveau livre s'intitule "En France" (L'Olivier, 239 pages) mais c'est chez les Français que nous convie la journaliste Florence Aubenas. Ceux dont le monde politique parle peu ou mal, qu'on découvre dans cette soixantaine d'articles écrits avec cœur. Des textes à la "Quai de Ouistreham", en immersion, qui ont été publiés ces deux dernières années dans le quotidien français "Le Monde". Ils ont été réunis ici parce qu'ils portent des voix de femmes et d'hommes discrets si pas invisibles.
Ces récits de vie montrent à la fois l'étendue de la crise économique et l'esprit d'adaptation et de résistance de ces petits, des "humains écrasés" comme on dit des "chiens écrasés", que la formidable grand reporter a dénichés au cours de ses reportages. Ses textes magnifiques, écrits au présent, le temps du journalisme, décrivent de l'intérieur des situations, des comportements, donnent beaucoup la parole aux acteurs. Jamais ils ne jugent. Ils se contentent de dire, et sont d'autant plus forts. Pour les écrire, Florence Aubenas a bénéficié du temps nécessaire, deux jours, parfois trois, parfois plus. Elle en remercie la rédaction de son journal. Des conditions de travail qui font soupirer la presse belge, soumise à d'autres impératifs.
Grand reporter pour "Le Monde" depuis deux ans, Florence Aubenas l'a été à "Libération" pendant vingt ans, de 1986 à 2006, puis au "Nouvel Observateur" de 2006 à 2012. Elle a parcouru les régions en guerre du monde, donnant des chroniques empreintes d'humanité. Aujourd'hui, c'est en France qu'elle part en reportage, et souvent dans le nord de l'Hexagone, région que celle qui est née à Bruxelles apprécie. Elle y va finalement autant vers l'inconnu que lorsqu'elle est à l'étranger. Ses rencontres, de commande ou de hasard - plutôt la faculté d'ouvrir grand les yeux et les oreilles -, elle les raconte en autant d'itinéraires de vie dans des articles de deux ou trois pages. A les lire, on pousse souvent des "Oh!" et des "Ah!" car les lieux qu'elle raconte, les personnes qu'elle nous donne à connaître, on pourrait les rencontrer, sauf que, la plupart du temps, ils ou elles se trouvent dans des endroits où on ne va pas.
"En France" se compose de trois parties. La première, "En campagne", se déroule durant la campagne présidentielle de mai 2012 et durant celle pour les municipales de mars 2014 et est suivie de "Au camping" puis de "Une jeunesse française". Ces vies multiples dessinent la France bien entendu mais pourraient aussi dire la Belgique d'aujourd'hui ou de demain. On réalise encore une fois combien la réalité peut dépasser la fiction.
Dans la première partie, on rencontre aussi bien une médecin cubaine que Frigide Barjot ou Gilbert Collard, des militants FN qu'un couple de pompistes bienveillants, des femmes en usine que des agriculteurs, un maire hésitant sur le mariage gay que des candidates à ce mariage, un vieil Arabe qui défend sa cage d'escalier que l'incroyable Madame Coco. En filigrane, bien sûr, le chômage, la précarité, l'isolement, les questions sur l'avenir. En parallèle, la débrouille et l'esprit de résistance comme dans ce sujet original du camping de la plage de Piémanson, en Camargue, en deuxième partie de "En France". Dix kilomètres de côte sans rien d'autre que des caravanes et des constructions précaires car le camping libre y est toléré la moitié de l'année. Ni autorisé, ni interdit, toléré. C'est tout un petit monde qui s'y retrouve d'été en été, avec son organisation, ses habitudes, ses modes, sans eau ni électricité mais avec le sable et la mer. Autant dire que les Belges dotés de seulement soixante kilomètres d'un littoral solidement bétonné ouvrent grands les yeux.
Ce tour de France darde aussi ses projecteurs sur la jeunesse. Des jeunes dont les repères évoluent par rapport à ceux des parents. Un contrat à durée indéterminée devient l'objectif, celui à durée déterminée étant réservé à la génération au-dessus. Les filles brossent l'école ou vont à Sciences Po. D'autres vendent leur corps. Les gars veillent officiellement sur les cités, sont forcés à réfléchir devant d'autres gars, encore moins bien lotis qu'eux.
L'air de rien, Florence Aubenas interroge le fameux "Liberté, égalité, fraternité". Et elle a bien raison de nous secouer. Son livre est formidable par toutes les forces qu'il a décelées, mises au grand jour, tordant ainsi le cou aux préjugés.
Ces récits de vie montrent à la fois l'étendue de la crise économique et l'esprit d'adaptation et de résistance de ces petits, des "humains écrasés" comme on dit des "chiens écrasés", que la formidable grand reporter a dénichés au cours de ses reportages. Ses textes magnifiques, écrits au présent, le temps du journalisme, décrivent de l'intérieur des situations, des comportements, donnent beaucoup la parole aux acteurs. Jamais ils ne jugent. Ils se contentent de dire, et sont d'autant plus forts. Pour les écrire, Florence Aubenas a bénéficié du temps nécessaire, deux jours, parfois trois, parfois plus. Elle en remercie la rédaction de son journal. Des conditions de travail qui font soupirer la presse belge, soumise à d'autres impératifs.
Florence Aubenas. |
"En France" se compose de trois parties. La première, "En campagne", se déroule durant la campagne présidentielle de mai 2012 et durant celle pour les municipales de mars 2014 et est suivie de "Au camping" puis de "Une jeunesse française". Ces vies multiples dessinent la France bien entendu mais pourraient aussi dire la Belgique d'aujourd'hui ou de demain. On réalise encore une fois combien la réalité peut dépasser la fiction.
Dans la première partie, on rencontre aussi bien une médecin cubaine que Frigide Barjot ou Gilbert Collard, des militants FN qu'un couple de pompistes bienveillants, des femmes en usine que des agriculteurs, un maire hésitant sur le mariage gay que des candidates à ce mariage, un vieil Arabe qui défend sa cage d'escalier que l'incroyable Madame Coco. En filigrane, bien sûr, le chômage, la précarité, l'isolement, les questions sur l'avenir. En parallèle, la débrouille et l'esprit de résistance comme dans ce sujet original du camping de la plage de Piémanson, en Camargue, en deuxième partie de "En France". Dix kilomètres de côte sans rien d'autre que des caravanes et des constructions précaires car le camping libre y est toléré la moitié de l'année. Ni autorisé, ni interdit, toléré. C'est tout un petit monde qui s'y retrouve d'été en été, avec son organisation, ses habitudes, ses modes, sans eau ni électricité mais avec le sable et la mer. Autant dire que les Belges dotés de seulement soixante kilomètres d'un littoral solidement bétonné ouvrent grands les yeux.
Ce tour de France darde aussi ses projecteurs sur la jeunesse. Des jeunes dont les repères évoluent par rapport à ceux des parents. Un contrat à durée indéterminée devient l'objectif, celui à durée déterminée étant réservé à la génération au-dessus. Les filles brossent l'école ou vont à Sciences Po. D'autres vendent leur corps. Les gars veillent officiellement sur les cités, sont forcés à réfléchir devant d'autres gars, encore moins bien lotis qu'eux.
L'air de rien, Florence Aubenas interroge le fameux "Liberté, égalité, fraternité". Et elle a bien raison de nous secouer. Son livre est formidable par toutes les forces qu'il a décelées, mises au grand jour, tordant ainsi le cou aux préjugés.
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