Temps de lire, de relire, de découvrir, de se souvenir, de faire fondre sa PAL,
pour les petits et pour les grands
#confinothèque2
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Vincent. (c) Casterman. |
L'album porte le titre de
"Quatorze juillet". Parce qu'il est français. Il aurait pu s'intituler "Vingt-et-un juillet" si les auteurs avaient été belges, "Vingt-quatre juin" s'ils avaient été québécois, ou encore "Onze septembre" s'ils avaient été catalans. Mais voilà,
Martin Quenehen et
Bastien Vivès sont Français et ils signent donc
"Quatorze juillet" (Casterman, 260 pages). Une date synonyme de fête, qui sera le point culminant de cette épatante bande dessinée qui fait réfléchir sur soi, sur ses parts d'ombre et de lumière. Un récit graphique plein de péripéties et de surprises pour un début d'été plein de dangers.
En très résumé, il s'agit de l'histoire d'un jeune gendarme, Jimmy, qui rencontre par le hasard d'un contrôle de vitesse un peintre, Vincent, et sa fille grande adolescente Lisa. Ils viennent se reposer dans ce bout perdu de France, Saint-Jean-le-Monestier. Le trio va très vite se revoir et Jimmy va apprendre la raison du séjour à la campagne. Faire le deuil après le drame qu'ils ont vécu, la mort de leur épouse et mère lors d'un attentat dans un supermarché.
Les images de l'album en noir et blanc et leur composition disent énormément, quasi tout de ce brillant scénario, et permettent l'économie de pénibles descriptions. Les dialogues ne sont présents que quand ils sont nécessaires, un procédé qui densifie d'autant le propos de l'album, la France d'après les attentats.
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Première rencontre. (c) Casterman. |
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Deuxième rencontre. (c) Casterman. |
Lui-même endeuillé, le gendarme va prendre le père et la fille sous son aile. Est-il amoureux de Lisa, lui, le beau garçon sportif qui a un semblant de relation avec une collègue? A-t-il peur que Vincent, tout à sa colère, assoiffé de vengeance, commette l'irréparable? Toujours est-il que Jimmy en fait plus qu'il ne doit, parfois pour le meilleur, mais pas toujours, surtout pas à la fin. Les coauteurs nous font entrer de plein pied dans cette histoire où rien n'est noir ou blanc, où l'humain se cogne à lui-même, où un uniforme n'est pas toujours gage d'honnêteté.
"Quatorze juillet" est un suspense prenant, de plus en plus intense, doublé d'une remarquable recherche psychologique sur des Français déboussolés. Une bande dessinée remarquablement illustrée dont on sort secoué.
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Jimmy. (c) Casterman. |
Martin Quenehen et
Bastien Vivès sont venus à la Foire du livre de Bruxelles.
L'occasion de les interroger.
"Quatorze juillet" est votre première collaboration alors que Bastien Vivès travaille en général seul.
Notre dénominateur commun est les attentats de Paris. Que faire après les attentats?
Nous avons voulu prendre la température de la France. On a commencé à réfléchir au projet en 2018, avant les Gilets Jaunes et le début de la haine. On a essayé de comprendre et de réagir à ça.
Les attentats, ce sont des victimes et des bourreaux. Mais nous ne sommes pas là pour amener ce qu'il faut faire.
Nous avons été les coscénaristes de cette histoire afin de définir ce que nous voulions raconter, de savoir quoi dessiner et pas comment dessiner. Ensuite Bastien Vivès a fait les dessins.
Il s'agit non d'un projet politique, mais d'un projet fictionnel. Jimmy, c’est Madame Bovary avec un flingue.
Nous ne voulons pas que ce soit un ouvrage de circonstance mais qu’il soit intemporel, universel.
Comment avez-vous construit cette histoire?
Nous avons choisi trois personnages comme observateurs, et surtout l'un d’eux, Jimmy, le gendarme.
On est tous dans une situation sociale et économique très compliquée, traversée par la violence. Nous voulons emmener le lecteur à la suite des personnages embarqués là-dedans. Ce sont leurs destins tragiques qui cristallisent l'époque, la société.
Qui est ce gendarme Jimmy?
Le point de vue du gendarme n'est ni blanc ni noir. Il est gris. Il se dit qu'il doit agir parce que Vincent et Lisa sont en souffrance. Mais ses démons se réveillent, ce qui suscite des questions. Nous voulons faire aimer suffisamment les personnages pour donner envie au lecteur d'aller au bout et au fond des choses avec eux. Nous avons énormément travaillé et retravaillé le scénario pour être toujours sur cette ligne de justesse.
Il se sent justicier mais il est de caractère instable. On est dans une époque où tout ce qui est censé donner de la stabilité est instable. Nous voulons tendre un miroir où se reflètent des humains. Les héros, ça n'existe pas. Les pures victimes, ça n'existe pas non plus.
Il est dans une solitude à crever, imperméable, perd son humanité mais il y a une petite porte pour que le lecteur puisse entrer. Le prologue lui donne un peu d’humanité. Il est un homme blessé. Son uniforme lui sert d’armure.
Comment sont venues les économies de trait et de mots?
On a créé une tension narrative, la course-poursuite et un fil humain sans thèse ni grand discours. L’écueil du scénario est de vouloir vendre une histoire.
C'est un roman graphique, il n'y a pas de monologues. On peut dire énormément de choses en un trait.
Le dessin des visages dépend de la mise en scène, comment le lecteur va balader son regard. Le dessin donne les bonnes infos. Il est dirigiste au point de vue de la mise en scène. J'aime diriger comme au cinéma, obliger le lecteur à regarder mais le laisser libre d'interpréter.
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