Sébastien Bailly. (c) Le Tripode. |
Il est content, Frédéric Martin, et fier! Sa maison d'édition, Le Tripode, vient de remporter pour la troisième fois - en quatre ans - le prix Prem1ère de la RTBF. A la Foire du livre de Bruxelles, le jury d'auditeurs et d'auditrices a tranché entre les dix livres finalistes (lire ici). Et il a choisi de récompenser le premier roman de Sébastien Bailly, "Parfois l'homme" (Le Tripode, 192 pages), une exploration sévère mais jubilatoire de la condition masculine. Venu de Rouen où il a été longtemps journaliste avant de se tourner vers la consultance en rédaction, le lauréat n'a pas caché sa joie d'avoir été choisi par des lecteurs d'abord, belges ensuite et donc dotés d'humour.
"De la naissance à la mort, vivre n'est pas une mince affaire, mais cela a-t-il, au moins, un sens? Déceptions, abandons, rancœurs, courage, exaltation, grâce et un peu de beauté pour faire passer le tout: la condition masculine serait-elle hésitante et égarée? Dans son premier roman, Sébastien Bailly nous le rappelle avec lucidité, humour et panache", ont estimé Laurent Dehossay et les jurés du Prix Prem1ère 2024.
Cent dix nuances de l'homme
En huit chapitres présentés comme les romans d'aventures de Jules Verne ("Où l'homme pousse un premier cri,..") et cent dix séquences numérotées où le mot "l'homme" apparaît, le plus souvent en ouverture, moins souvent dans le corps du texte, deux fois pas du tout, Sébastien Bailly nous raconte un homme, lui?, de sa naissance (notice n°1) à son décès (notice n°110), pas lui. Entre les deux, des notices de longueurs variables abordent une existence masculine de façon chronologique en autant de thématiques. Exemples: 1, la naissance; 2, le choix du prénom; 3, l'accouchement; 4, la raison de la conception... Mais aussi l'enfant maltraité (6) ou choyé (7). Et encore le journal intime (13) ou l'art de collectionner (15). Sans oublier le quotidien, école, études, boulot, chômage, retraite, vacances, incidents de parcours, et la politique dont l'extrême-droite (60) ainsi qu'une impressionnante liste de ratages potentiels (71). On découvre des suites logiques comme des coqs à l'âne.
Bailly distille sa critique sociale d'un ton amusé ou au second degré. Pince-sans-rire ici, carrément noir là. De petites phrases percutantes réveillent un sujet banal. D'autres jouent sur le sens des mots. Elaborent des analyses rocambolesques (31) ou vantent la clef de douze (65). Quand il ne s'adresse pas directement à son lecteur. Sa couverture en spermatozoïdes multicolores, symbole masculin absolu, abrite un constat plutôt désenchanté sur la condition masculine. Mais les observations fines et bien rendues offent un réel plaisir de lecture tout en transpirant d'humanité. L'auteur sculpte ses différents tableaux tout en se lançant des défis littéraires. Une liste ici, une note là. Au final, un premier roman lettré dans le bon sens du terme, pesé,
rythmé, dans lequel on circule facilement grâce à la numérotation. On
pourrait même lire "Parfois l'homme" comme un "livre dont on est le héros". Et on le perçoit différemment après avoir entendu les réponses de l'auteur.
Sept questions à Sébastien Bailly
Ecrire un premier roman à votre âge, est-ce tard?
Je publie mon premier roman à 56 ans, mais cela ne veut pas dire que j'ai commencé à écrire maintenant. J'ai été journaliste pendant vingt-cinq ans, dans la presse informatique et dans la presse écrite, notamment locale pour "Ouest-France". On fait tout en locale. On est en prise réelle avec ce que vit la population. Sillonner Rouen a été nourrissant pour l'écrivain qui arrive derrière le journaliste.En réalité, j'ai écrit mon premier livre à sept ans et demi. C'était un cahier de poèmes que j'ai fait en plus de mon cahier de poésie à l'école. Mon enfance et mon adolescence se sont déroulées avec l'écriture. Toujours de la poésie. Et des bouts de roman. Le travail d'écriture a toujours été là. Ensuite, j'ai fait des études de lettres et j'ai opté pour le journalisme afin d'écrire. C'était aussi une manière de repousser le moment où j'allais faire de la littérature. Comme écrire des livres techniques et non de la littérature blanche. "Parfois l'homme" est nourri de mon expérience. Évidemment, après cinquante-six ans, il n'est pas autobiographique. Et avant, pas complètement...
Mais la première scène l'est?
Oui.
Être un homme, un défi?
Le plus difficile à réussir, de mon point de vue, n'est pas que mon premier roman ne présente pas d'histoires, ni de personnages, mais qu'il se lise comme un page-turner. En l'absence de trame narrative tout en étant grand public. C'est cela qui a été mon défi.L'écriture, cela s'apprend, le rythme, cela s'apprend. Sans technique, ce livre n'existe pas. Où mettre l'humour, comment l'intégrer? Il faut faire ses gammes. Se faire mal, comprendre ce qui ne marche pas.
Qui est cette Germaine Tribochon qui signe l'épigraphe "Parfois l'homme naît; parfois, l'homme meurt."?
C'est une blague. Elle n'existe pas. Comme il n'y a aucun personnage nommé dans le livre, je l'ai inventée pour avoir un nom. Accessoirement, sa phrase est le titre de mon manuscrit initial. Tout le livre est dans le point-virgule.
Comment s'est écrit "Parfois l'homme"?
J'ai composé le livre en suivant la chronologie de l'homme de la naissance à la mort. La numérotation des séquences est une idée de mon éditeur. Au départ, je n'en avais pas mise. C'étaient des blocs de texte. La numérotation donne des repères au lecteur. On découvre comment les gens s'approprient le livre, s'envoient des passages en les identifiant par leur numéro. Les différents paragraphes donnent aussi une idée très claire de tout ce que je pense. Le climat actuel en Europe est incroyable.
Quand écrivez-vous?
J'écris le matin, de cinq à sept heures, quand la maison dort. Dans les mêmes conditions d'écriture, jour après jour. Cela me permet, je pense, de maintenir le même style d'écriture. J'écrirais en fin de journée, les mots me viendraient différemment. Chaque numéro du roman a été écrit d'un coup, selon l'inspiration du jour et dans l'ordre du livre publié.
A part Perec, quelles sont vos admirations littéraires?
L'auteur Alexandre Vialatte qui m'a inspiré mon rythme et le décalage humoristique.Eric Chevillard pour sa fantaisie et sa noirceur. Mais je ne l'ai découvert qu'a posteriori. Comme d'autres choses dans mon livre.
Lauréats précédents
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2023 Anthony Passeron pour "Les Enfants endormis" (Globe, lire ici)
- 2022 Mario Alonso pour "Watergang" (Le Tripode, lire ici)
- 2021 Dimitri Rouchon-Borie pour "Le Démon de la Colline aux Loups" (Le Tripode, lire ici)
- 2020 Abel Quentin, pour "Sœur" (Editions de l'Observatoire, 2019, lire ici)
- 2019 Alexandre Lenot, pour "Écorces vives" (Actes Sud, 2018)
- 2018 Mahir Guven, pour "Grand frère" Editions Philippe Rey, 2017, lire ici)
- 2017 Négar Djavadi, pour "Désorientale" ;(Liana Levi, 2016, lire ici)
- 2016 Pascal Manoukian, pour "Les échoués" (Éditions Don Quichotte, 2015, lire ici)
- 2015 Océane Madelaine, pour "D'argile et de feu" (Les Busclats, 2015, lire ici)
- 2014 Antoine Wauters, pour "Nos mères" (Verdier, 2014, lire ici)
- 2013 Hoai Huong Nguyen, pour "L'ombre douce" (Viviane Hamy, 2013)
- 2012 Virginie Deloffre, pour ;"Léna" (Albin Michel, 2011)
- 2011 Nicole Roland, pour "Kosaburo,1945" (Actes Sud, 2011)
- 2010 Liliana Lazar, pour "Terre des affranchis" (Gaïa Éditions, 2009)
- 2009 Nicolas Marchal, pour "Les Conquêtes véritables" (Les Éditions namuroises, 2008)
- 2008 Marc Lepape, pour ;"Vasilsca" (Éditions Galaade, 2008)
- 2007 Houda Rouane, pour "Pieds-blancs" (Éditions Philippe Rey, 2006)
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