LU & approuvé
Interrogations. (c) Esperluète. |
On avait rencontré Madame dans
"Bientôt l'été" (Esperluète, 2007, 178
pages). Elle s'inquiétait de son apparence physique. On a fait la connaissance
de Monsieur, le "mari" de Madame, dans
"Déjà Noël" (Esperluète, 2010, 178
pages). Il s'essayait au libéralisme.
Frédérique Bertrand les
réunit dans un nouveau roman graphique,
"Encore heureux" (Esperluète, 192 pages),
dans le même format que les précédents mais en polychromie alors que les
précédents étaient respectivement en rouge et en noir. A nouveau un titre qui
titille le lecteur selon la syllabe ou le mot qu'il accentue.
En page de titre. (c) Esperluète. |
On parcourt avec un intérêt qui s'aiguise de page en page ce
"Encore heureux" qui ne suit jamais le
chemin de la facilité. On y retrouve la façon de l'auteure, son exigence. Ses
jeux sur les mots et leurs sens. Ses séries visuelles ou écrites. On découvre
chez elle de nouvelles variations graphiques, des jeux sur le plein et le
vide, entre le noir et la couleur. En filigrane, l'éternelle question du
couple et de sa durée heureuse. Mais sans drame. Avec des rires souvent, des
sourires encore plus souvent. De l'imagination et de la légèreté. De l'humour
quand cet homme-table inaugural galope, des surprises dans les expressions,
"depuis des lustres et des lampadaires", des variations sur ses thèmes
préférés, la maison, sa table et sa chaise... Comme on s'y reconnaît.
Les pages sont le miroir des existences des deux personnages entre sentiments
et tâches domestiques. Le porte-voix d'espoirs de vie réussie, heureuse, que
viennent parfois chambouler les objets ou les sentiments. Avoir l'espoir
d'aimer et d'être aimé est une entreprise qui fait parfois perdre des plumes.
Mais aimer et être aimé est aussi une base précieuse. On oscille, on vacille,
on se rattrape, on continue. L'auteure-illustratrice nous partage les
hésitations, les fulgurances, les doutes, les joies de ce couple dans son
style graphique si personnel. Elle serpente entre le noir des fusains et la
couleur des portraits, entre les textes manuscrits et les calligrammes, entre
les croquis séquencés d'une même scène et des images carrément abstraites,
entre Madame et Monsieur qu'on voit ensemble ou séparément. Tout son art est
de ne jamais tout dire, de laisser le lecteur choisir entre la farce, le drame
ou la comédie. Une façon aussi de pointer l'absurdité de la vie par
moments.
Eminemment graphique, allant jusqu'à utiliser les textes écrits tellement
petits qu'ils sont illisibles et en deviennent image eux-mêmes, cet épais
moyen format dissèque la relation d'un couple longue durée à la recherche du
bonheur avec humanité et humour, réalisme aussi quand planent des nuages et
s'achève avec une image finale, définitive.
Paroles en calligrammes. (c) Esperluète. |
Ce que j'avais écrit à l'époque dans "Le Soir" à propos des deux premiers
titres.
Une saison avec Carbelle
"Bientôt l'été" est une chronique illustrée attachante du temps qui passe et
des lendemains qui chantent.Une couverture sombre, mate. Une silhouette esquissée s'y avance. Bientôt l'été, annonce le titre. Avant de compléter: "25 décembre déjà Noël… bientôt l'été". Et de dérouler, de flûtes en bûches, le calendrier ombreux de la fin décembre. Opus délicieux que ce roman graphique que signe chez l'éditeur belge Esperluète la Française Frédérique Bertrand. La Frede dit avoir fait un "livre de filles". Plein de dessins et de mots. De rires et d'émotions. De grandes choses et de petites, mélangées, liées, imbriquées. Plein de vie, en résumé. Un livre de filles, mais garçons admis.
Il commence ainsi: "Comme chaque année au premier jour, elle s'éveille ankylosée et nausée, enkilosée comme toujours…" Verdict de la balance, route jusqu'à l'été (bronzage, lecture), bonnes résolutions. "Réagissez tant qu'il est temps d'agir", est-il glissé à Carbelle. Et l'auteure de lâcher une immense tirade sur ce qui est bon pour les fesses: des exercices de gym dont on ne voit pas la fin mais qui, dans leur insolence, acquièrent la poésie d'un Prévert ou d'un Queneau. Les dessins s'emparent du sujet, le triturent, s'en détachent avant de laisser l'héroïne conclure, "non, entamer un régime n'est pas insurmontable".
Au fil des pages, on suit tout le maillage de la petite vie de Carbelle. Les bonnes résolutions, les matins heureux, les jours plus sombres, les pensées légères, les frustrations et les idées noires, les habitudes ou les surprises…
Tout l'art de Frédérique Bertrand est d'emporter la lectrice réjouie dans ses variations pleines de surprises. Un jeu de cadavres exquis ici, une idée (écrite ou dessinée) en appelant une autre. Là, une étude poussée d'une réalité féminine, telle une séance d'épilation. Essayages, repassage, brossage de cheveux, c'est avec une infinie douceur que l'auteure appelle les femmes à parfois lâcher prise, se faire plaisir. A lire sans attendre l'été.
"Bientôt l'été", Frédérique Bertrand, Esperluète éditions, 178 pages.
8 janvier 2008
Après Madame, voici Monsieur !
On avait rencontré et apprécié Carbelle il y a trois ans, dans "Bientôt
l'été", beau et délicat roman graphique de la Française Frédérique Bertrand –
mais publié en Belgique, chez Esperluète. On découvre aujourd'hui le "mari" de
la dame dans "Déjà Noël", nouveau roman graphique de l'auteure, dont le titre
apparaissait en annonce dans le précédent. Aussi masculin que l'autre était
féminin. Aussi rouge que l'autre était noir, même si quelques notes foncées
ponctuent à intervalles réguliers la teinte festive. Mais toujours réalisé
selon ce très beau et délicat procédé du papier carbone qui donne un superbe
aspect velouté aux dessins.
"Déjà Noël" est donc l'histoire d'un homme qui a le bonheur pour idéal mais vit terriblement sous pression. Il est plein de bonnes intentions mais semble souvent dépassé par les événements. Dès le début: la cravate qu'il est en train de s'attacher au cou lui échappe… Mon beau sapin? Une course folle plutôt, entre tout ce qu'il y a à faire. Car Monsieur vit en couple et travaille.
Autant de sujets d'interrogations que Frédérique Bertrand arrange avec humour et tendresse. Ses dessins savoureux semblent également se jouer du personnage. Ses textes en lettres imprimées, quelques mots ou de grandes pages, traduisent magnifiquement le temps qui passe et nous file entre les doigts, haché par les us de la société. Un anti-héros très attachant, un roman graphique percutant.
"Déjà Noël" est donc l'histoire d'un homme qui a le bonheur pour idéal mais vit terriblement sous pression. Il est plein de bonnes intentions mais semble souvent dépassé par les événements. Dès le début: la cravate qu'il est en train de s'attacher au cou lui échappe… Mon beau sapin? Une course folle plutôt, entre tout ce qu'il y a à faire. Car Monsieur vit en couple et travaille.
Autant de sujets d'interrogations que Frédérique Bertrand arrange avec humour et tendresse. Ses dessins savoureux semblent également se jouer du personnage. Ses textes en lettres imprimées, quelques mots ou de grandes pages, traduisent magnifiquement le temps qui passe et nous file entre les doigts, haché par les us de la société. Un anti-héros très attachant, un roman graphique percutant.
17 décembre 2010