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mercredi 1 février 2017

"Allô Maman bobo", revu par Carole Fives

Carole Fives. (c) Catherine Hélie/Gallimard.

Mince alors, la chanson d'Alain Souchon "Allô Maman bobo" date de 1977 (album "Jamais content"). Quarante ans! Cela me fait un choc. Moins fort néanmoins que la lecture du dernier roman en date, le troisième après un recueil de nouvelles, de Carole Fives, "Une femme au téléphone" (Gallimard, L'Arbalète, 102 pages). Fort, déchirant, déchiré. Inattendu aussi, mais on connaît l'auteure, que ce livre reprenant des conversations téléphoniques entre une mère, Charlène, la soixantaine, et sa fille adulte.

Une succession de mots, de phrases, qui disent celle qui parle autant que celle qui écoute. Et on comprend tout de suite la peine de celle qui décroche le combiné, parfois le raccroche brusquement, même si cette peine n'est jamais dite. Allôs, Mamans, bobos. Beaucoup de bobos.
"C'est maman, j'ai la voix complètement cassée, je n'ai pas pu voir de toubib car ils sont tous en vacances, voilà, j'espère que toi ça va... Ton frère ne voulait pas que je t'en parle mais j'ai des soucis avec mes globules rouges, (...)"
"Je te dérange? Tu n'avais qu'à fermer ton téléphone. Moi je suis debout depuis six heures alors... Ça a réveillé tes amis? Mais vous dormez tous ensemble dans cette maison de vacances? (...)"
"C'est encore moi, je tourne en rond. J'ai déjà fumé un paquet et bu une cafetière. Tout vomi aux toilettes. C'était amer comme de la bile. Alors je t'ai appelée, j'avais besoin de parler à quelqu'un, excuse-moi. (...)"
Voilà les débuts des trois premiers paragraphes du livre, histoire de donner le ton du nouveau roman de Carole Fives, épatant. Au début, on ne sait trop quoi faire avec cette mère qu'on devine envahissante. Soupirer? Sourire? Ou carrément rire quand Charlène annonce qu'elle s'est inscrite sur le site Meetic. Et qu'on va suivre son insuccès initial: "Tu sais pourquoi personne n'a répondu à mes annonces sur internet? J'ai coché Je suis une femme qui cherche une femme, rien ne va plus." On devine son sourire blagueur. Cela ne durera pas: "C'est toi ma puce? Le médecin m'a appelée, il m'a annoncé tout de go "madame, c'est le docteur Plot. Vos résultats sont très mauvais, vous avez un cancer, on se voit lundi, à mon cabinet", puis il a raccroché. Un cancer? Non, mais il n'est pas fou ce toubib?"

Tout de suite, on est pris par l'humanité de ces conversations dont on n'a que la voix de la mère. Ce qu'elle répond permet toutefois de savoir ce que sa fille lui a dit. Le procédé est fort et permet d'économiser les sentiments inutiles. Car ils sont nombreux à se succéder à la lecture de "Une femme au téléphone".  On suit la vie actuelle de Charlène qui, en même temps, se remémore son passé. Une femme vieillissante, centrée sur elle-même et ses chagrins. Très occupée à chercher un homme aussi. Ou à lancer des idées en l'air, comme celle de faire ce livre. Tellement égocentrée qu'elle ne peut guère porter attention à sa fille, oreille patiente et empathique.

Une telle difficulté à communiquer fait frémir. Mais on ne peut qu'admirer l'habileté de l'appelante à toucher sa fille là où cela lui fera mal - en est-elle même consciente? On croit parfois qu'elle lui glisse quelques fleurs, c'était ne pas voir le pot qui suit. Se rend-elle seulement compte combien elle est une mère toxique? Carole Fives réussit à nous la rendre toutefois touchante, en même temps que ses initiatives, ses opinions ou ses colères peuvent nous faire sourire. Elle dresse aussi un magnifique portrait en creux de la fille, qui voit s'inverser sans que personne n'en dise trop rien les rôles parents-enfants. Combien de femmes ne sont-elles pas dans cette situation? "Une femme au téléphone" est un roman finement engrangé qui fait rire en même temps qu'il serre la gorge.










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