L'an dernier, en recevant à l'Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises de Belgique (ARLLFB) le prix Léopold Rosy pour son essai "Reductio ad Hitlerum" (Presses universitaire de France, 2014), François De Smet citait Hannah Arendt parmi ses "maîtres à penser", soit "tous ceux et celles qui questionnent les évidences" (lire ici).
François De Smet. |
Hannah Arendt (1906-1975) est la philosophe et politologue qui marqua les esprits au XXe siècle, notamment quand elle écrivit sur la banalité du mal. Sujet qui revient hélas de plus en plus sous les feux de l'actualité. Femme, juive, Allemande de naissance, naturalisée Américaine, écrivaine, elle fut aussi une sacrée plume qu'on découvrira dans les extraits de "Eichmann à Jérusalem" qui seront lus. Un livre publié en 1963, deux ans après le procès Eichmann qui se tint à Jérusalem et auquel elle assista.
Flonia Khodeli. |
Trois questions à François De Smet
Pourquoi avoir fait le choix de Hannah Arendt pour cette séance des Midis de la poésie qui a lieu la veille de la journée de la femme?
C'est une proposition des Midis de la Poésie. Mélanie Godin (ndlr: directrice des Midis de la poésie) m'a entendu parler de Hannah Arendt et de sa banalité du mal lors d’une manifestation publique et a eu l'idée de me demander de creuser l'idée pour cette occasion. Par ailleurs, c'est vrai, elle est la plus grande figure féminine de la pensée politique, et de la philosophie. Ses apports sont majeurs, selon moi, pour comprendre le monde aujourd'hui.Qu'a Hannah Arendt à nous dire aujourd'hui et comment est-elle actuellement perçue?
Son interrogation sur les totalitarismes est célèbre. Mais je dirais que son immense plus-value est d'avoir constamment tenté de comprendre les phénomènes d'ensemble, d'un point de vue macro, tout en creusant sans relâche les tréfonds de l'âme humaine elle-même. Elle restait, je pense, à l'affût de tous les moments dans lesquelles les histories individuelles rejoignent la grande histoire. Elle restera, j'en suis sûr, un témoin-clef de ce vingtième siècle si guerrier, si effrayant, et pourtant si passionnant sur la nature humaine elle-même.Pourquoi avez-vous choisi dans son œuvre les textes sur Eichmann à Jérusalem?
C'est une œuvre très connue, mais son choix m'a paru évident. D'abord à cause du sujet. La question du mal, banal ou non, n'a plus cessé de nous hanter et est encore au cœur des débats de société aujourd'hui. Ensuite à cause du style. "Eichmann à Jérusalem" est une compilation des articles qu'Arendt a rédigés pour le "New Yorker" durant le procès. C'est un style tantôt journalistique, tantôt anecdotique, tantôt philosophique qui est agréable à lire, permet son appréhension par chacun et - je l'espère - se révélera dès lors aussi agréable à écouter.
Pour mieux connaître la vie de Hannah Arendt, et non sa pensée, on peut se référer à la bande dessinée de Béatrice Fontanel et Lindsay Grime, "Hannah Arendt" (Naïve, 2015, lire ici).
"Eichmann à Jérusalem" est justement une des lectures d'approfondissement des connaissances que propose François De Smet à la fin de l'excellente bande dessinée en petit format tout juste parue, "Les droits de l'homme, une idéologie moderne" dont il a écrit les textes et que Thierry Bouüaert a remarquablement illustrée (consistant avant-propos de David Vandermeulen, Le Lombard, collection "La petite bédéthèque des savoirs", 88 pages).
Quel défi que de présenter de manière brève mais attrayante les droits de l'homme? Par où commencer? Que conserver? Que raconter? François De Smet s'en sort admirablement parce qu'il a l'idée de donner la parole à la Déclaration universelle des droits de l'homme elle-même! C'est elle qui s'adresse au lecteur en le tutoyant. Et cela marche du tonnerre. Moi qui suis née pile dix ans après elle, mais à Bruxelles, pas à Paris, j'en atteste. Cette BD truffée de détails visuels, dont la sempiternelle bougie à barbelés, est une réussite. Elle nous entraîne dans le laborieux chemin qui a mené à l'élaboration des articles. Elle rappelle qu'on sort tout juste de la Seconde Guerre mondiale, que les équilibres mondiaux ne sont pas les mêmes qu'aujourd'hui. La situation économique non plus. Les compromis et les arrangements présents mais le but final omniprésent. Surtout que se confrontaient plusieurs visions du monde entre Orient et Occident, Nord et Sud, Amérique et Europe.
Le lecteur est constamment interpellé.(c) Le Lombard. |
Il est passionnant de découvrir les étapes de cet immense travail de rédaction, autant à travers les textes prenants mais informatifs qu'à travers les images aux teintes sourdes de Thierry Bouüaert. Ce dernier croque les gens célèbres de telle sorte qu'on les reconnaît facilement, la confirmation de leur nom venant souvent un peu plus loin dans le texte. Il rappelle avec intelligence les grands événements historiques. Personnes et lieux se complètent agréablement pour illustrer le manque d'attention aux droits de l'homme. Des droits qui ont été souvent bafoués mais dont le cerveau garde en mémoire les photos d'événements terribles que le dessinateur reprend judicieusement à son compte, mariant photo de presse, bande dessinée et histoire. En une septantaine de pages en petit format mais rudement bien composées - remplies sans que cela ne déborde -, tout est dit, et si bien dit que le lecteur est complètement remué. Prêt à militer pour la sauvegarde de cette déclaration indispensable mais menacée.
Un dessin en vignette qui sera colorisé en brun. (c) Le Lombard. |
A lire absolument parce que la presque septuagénaire Déclaration universelle des droits de l'homme est plus que jamais d'actualité, aujourd'hui et demain. L'homme sait qu'il est une menace pour lui-même. Pour ados et adultes.
Un dessin pleine page. (c) Le Lombard. |
Pour lire un extrait de la bande dessinée "Les droits de l'homme", c'est ici.
Infos pratiques
Midi de la poésie: "Hannah Arendt, ou le mal comme absence de pensée".
Date: mardi 7 mars, de 12h40 à 13h30.
Lieu: Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (Petit auditorium), rue de la Régence, 3, 1000 Bruxelles.
Entrée: 6 € (3 € si réduction).
Réservation: info@midisdelapoesie.be ou 0485/32 56 89.
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