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mercredi 10 mars 2021

De l'ombre vers la lumière

Gilles Paris. (c) Didier Gaillard-Hohlweg.


Publier un livre sur la dépression en pleine période de coronavirus, n'est-ce pas un peu profiter de la situation, interroge l'avocat du diable. Double erreur, répond l'écrivain Gilles Paris, récemment de passage à Bruxelles. "J'ai terminé le livre il y a un an. Comme le programme de parution de mon éditeur pour janvier 2020 était plein, on a décidé d'attendre et de le publier en janvier 2021. Ensuite, ce n'est pas un livre sur la dépression mais sur la sortie de la dépression." En effet, "Certains cœurs lâchent pour trois fois rien" (Flammarion, 222 pages) est le récit des huit remontées vers la lumière après autant de dépressions. En trente ans de vie.

"Ce livre n'est pas une autobiographie", avertit l'auteur en ouverture, "mais des éclats de vie pour mieux comprendre les méandres de la dépression." De fait, on va suivre les chemins pris par Gilles Paris pour lutter contre la maladie, ne pas se laisser dominer par la bête. En France, l'auteur est bien connu du milieu littéraire puisqu'il y est attaché de presse depuis très longtemps. Il a ainsi côtoyé Françoise Sagan et Salman Rushdie. Mais nombreux sont les membres de ce cercle qui ont découvert avec ce livre le mal qui l'a tellement rongé. "Entre deux dépressions, j'ai eu la chance de vivre normalement", explique Gilles Paris le pudique.

Pudique, il l'est tout autant dans ce récit où il se penche sur sa vie, son enfance, sa jeunesse, son âge adulte, sur ses souffrances et sur ses excès, sur ce qui l'a fait vibrer et ce qui l'a abîmé. Une succession d'épisodes non chronologiques, thématiques plutôt, non pour se plaindre ou se faire plaindre mais pour tenter de se comprendre. Pour montrer qu'on peut s'en sortir. Qu'on peut arriver au lumineux dernier chapitre "J'aime". Cinq pages ponctuées à plusieurs reprises du mot "écrire" qui listent les petits et grands bonheurs dans la vie de l'auteur, qui sont comme autant de soleils après des tempêtes, des ouragans, des passages à vide, des détresses. "Ma vie ressemble plus au chapitre "J'aime". Avant, c'est mon chemin pour y arriver."

Le livre s'ouvre sur une "Lettre au père", celle que Gilles Paris a écrite en 2017 à la suggestion de Didier, un photographe, ami de longue date. Des mots terribles qui disent la violence du père envers son fils, physique avec les coups, psychique avec les mots "Tu ne feras jamais rien de ta vie, tu es une merde." Comment vivre après cela? Que devenir?

Il nous confie son parcours en montagnes russes, lui, Gilles Paris, le Fra-Gilles et le fort à la fois, le sensible qui s'émeut des larmes d'une vieille dame, l'empathique qui "attrape la douleur d'autrui comme la gale", le créatif qui a mis de sa vie dans ses sept romans ("Autobiographie d'une courgette" bien entendu, mais aussi "Papa et Maman sont morts", son premier, "Au pays des kangourous", "L'été des lucioles", "Le vertige des falaises" (lire ici), et pour les ados "Inventer les couleurs" et "Un baiser qui palpite là, comme une petite bête", à paraître) et son recueil de nouvelles "La lumière est à moi". Il témoigne de ses bons moments, un café en terrasse, des longueurs de piscine, le voile de la dépression qui se lève, de ses expériences parfois extrêmes, de ses séjours en clinique ici et là, de ses tentatives de suicide, de son travail avec divers psychanalystes dont le merveilleux Docteur M. Le titre de son récit vient d'un médecin qui le récupère aux urgences après l'une d'elles.

Mais Gilles Paris a le cœur solide. Un cœur qui aime aussi, les siens, sa sœur Geneviève, des hommes, et surtout Laurent, épousé il y a déjà vingt ans. "Pour la première fois, je suis en couple et heureux". Pour le meilleur et pour le pire. Le compagnon qui sait tout de lui, y compris les faits de pédophilie relatés ici pour la première fois, celui qui le soutient et l'accompagne. Un cœur qui veut vivre même si, lucide, il sait qu'il rechute après la parution d'un livre. Un cœur qui offre son itinéraire personnel comme une proposition d'espoir à tous ceux qui vacillent. 


Neuf questions à Gilles Paris

Pourquoi avoir écrit ce livre?
Véronique de Bure, mon éditrice chez Flammarion, avait lu un portrait de moi paru en 2017 dans "Le Parisien". Elle avait été frappée par les problèmes dysfonctionnels de mon enfance. Deux ans après, elle m'a envoyé un message très aimable sur Messenger. Nous nous sommes rencontrés et elle m'a parlé du livre à faire. Elle a été souvent dure avec mon texte, demandant des dates, des lieux. J’ai dû fouiller dans mes anciens agendas parfois. Ecrire ce livre m'a remué mais en même temps il s'est écrit on ne peut plus facilement, comme l'eau qui coule d'une fontaine.

Votre père a-t-il lu vos livres?
Il ne me l'a jamais dit mais oui il les a lus. Il a même fait un press-book des critiques parues à la sortie de mon premier livre, "Papa et Maman sont morts". Ma belle-mère m'envoyait régulièrement des textos me signalant que mon père lisait mes livres mais je ne lui ai jamais répondu.

Tout part de cette "Lettre au père", non?
Je l'ai écrite en 2017, à la demande de mon ami Didier, photographe, un jour de désespoir. Je l'ai écrite à l'ordinateur et le voile s'est levé, ma dépression était partie.
La "Lettre au père" a été retravaillée pour le livre. Un critique l'a lue à l'antenne l'autre jour. J'ai été incapable de l'couter.

Le mot "écrire" revient à plusieurs reprises dans ce très beau dernier chapitre, intitulé tout simplement "J'aime".
Ecrire est ce qui me rend le plus heureux. Je ne suis pas un écrivain de la souffrance. Ecrire ne fait pas partie de mon processus de guérison. J'écris quand je vais bien. Aujourd'hui, je suis guéri, même si je ne suis pas à l'abri d’une neuvième dépression. Mais je prends mes précautions: je prends du lithium, j'ai Laurent, mon mari depuis plus de vingt ans, j'ai mon métier d’attaché de presse.

Quid des psychiatres?
J'ai rencontré beaucoup de psychiatres dans ma vie. Des gens formidables ou des charlatans. Monsieur M est exceptionnel. Il habite près de la librairie Gallimard, boulevard Raspail, et il est client de cette libraire. Un jour où j'y faisais une signature, il n'est pas venu me voir mais il m'a laissé une lettre, une lettre magnifique. Il a 81 ans aujourd'hui et reçoit toujours 150 patients par semaine à raison de trente minutes par séance.

Est-ce compliqué d'écrire sur les gens de son entourage?
Laurent a été mon premier lecteur. Il a pleuré et n'a plus voulu relire le texte ensuite. Mais il m'a encouragé à tout dire. En écrivant ce livre, je me sentais dans un cauchemar doux, comme si j'étais nu au milieu d'une foule qui ne faisait pas attention à moi.

Vous vous mettez à nu dans ce récit.
C'est la première fois que j'évoque la pédophilie dont j'ai été victime. Je voulais être au plus près de ma propre vérité. Ne pas avoir comme ces photos en noir et blanc que les souvenirs enjolivent pour en faire des photos en couleurs. Je voulais rester une photo en noir et blanc.
Par exemple, quand j'ai été battu par mon père, je me souviens de ses chaussures en cuir. Mais je ne sais plus si les semelles portaient des fers ou pas, du coup je ne l'ai pas écrit. Était-ce un souvenir ayant évolué ou la réalité? J'ai voulu ne raconter les faits que dans l'exactitude de ma mémoire de l'époque.

Comment vous sentez-vous depuis que le livre est publié et lu?
C'est contradictoire. Je me suis préparé psychologiquement. Je me suis blindé. Je me méfie des gens toxiques. Si les messages que je reçois ont un peu d'humanité, j'y réponds. Si non, non. On me parle d'un personnage qui est moi et pas tout à fait moi, à cause du filtre de la lecture de la personne.
Longtemps, je ne me suis pas aimé. Aujourd'hui je suis un peu narcissique. Je suis ému par la justesse de certains articles, amusé par les approximations d'autres.

Avez-vous pensé à vos lecteurs en écrivant ce récit?
J'ai pensé aux lecteurs en écrivant mais deux dépressions ne se ressemblent pas, même si on peut trouver des passerelles entre les huit dépressions que j'ai eues. Les mots de mon père ont été pire que ses coups. Si ce livre peut aider ceux qui traversent une dépression et ceux qui les accompagnent, c'est bien. Il ne traite pas de mes dépressions mais de la manière dont je m'en suis sorti. 


























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