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mercredi 24 mars 2021

La dessinatrice Coco, avant, pendant et après l'attentat à "Charlie Hebdo"

"Dessiner encore". (c) Les Arènes BD.

Cinq ans déjà des attentats de Bruxelles (le 22 mars 2016), cinq ans et demi des attentats de Paris (le 13 novembre 2015), six ans depuis les attentats à "Charlie Hebdo" et à l'Hyper Cacher (les 7 et 9 janvier 2015). Des années qui ont filé vite ou non, selon que l'on est l'un ou l'autre. Des années dont personne n'a oublié les drames qui ont allumé les compteurs. Des atrocités qui ont blessé, meurtri, épouvanté. Des blessures dont les cicatrices peuvent se rouvrir. Des scènes de terreur avec lesquelles il a fallu apprendre à vivre. Cela, c'est pour le commun des mortels. Mais ceux qui ont été directement impliqués, touchés, comment ont fait ces rescapés pour tenter de reprendre pied? Plusieurs ont écrit des livres (ici).


C'est au tour de la dessinatrice Coco, qui va succéder à Willem à "Libé", de prendre les pinceaux pour dire son 7 janvier 2015 et sa volonté de ne rien lâcher. "Dessiner encore" (Les Arènes BD, 352 pages) est un livre sublime, un récit graphique bouleversant, dans les images comme dans les mots. Avec cette vague bleue immense qui submerge Coco ou la porte, qu'elle fend ou domine, cette vague qui symbolise si bien sa période après le "7". Cette vague récurrente aux bleus dégradés, où apparaît une si petite Coco, quelques traits et une masse de cheveux.

"Dessiner encore". (c) Les Arènes BD.

Une Coco petite dans les images mais grande dans son combat pour revivre. Elle nous confie son traumatisme par bribes, partant d'aujourd'hui, "C'est incontrôlable. Ça vient à tout moment m'avaler et me replonger dans cette poignée de minutes qui a bouleversé ma vie". Elle va tout nous dire, elle, "Charlie" et le monde, avant, pendant et après. Coco nous confronte à nos promesses et interroge ce que nous en avons fait. A sa méthode, avec impertinence et clairvoyance. Sa sincérité, sa causticité, son esprit critique happent le lecteur autant que la beauté de ses dessins, qui souvent s'enchaînent sur plusieurs pages.

"Dessiner encore". (c) Les Arènes BD.
On sourit devant les thérapies de Coco, lorsqu'elle se rend en mai 2015, encadrée par deux immenses gardes du corps, dont l'EMDR qui se base sur les mouvements oculaires. De multiples séances "pour éjecter le trauma", jusqu'à ce qu'elle rencontre M. Jean, docteur en psychologie et adepte du cheminement personnel. L'album est épais et nous permet de suivre Coco de long en large, ce 7 janvier qui avait bien commencé, la réunion de rédaction, joyeuse, un peu foutraque comme toujours, la rencontre avec les deux tueurs, la menace de la tuer, jeune maman, le code, le massacre. La tuerie, représentée par des pages quadrillées de noir, provoquant le même effroi que les pires photos. Un carnage qui hante Coco, qui la démolit, qui l'obsède, "Et si je...", "Et si je...", "Et si je..." Culpabilité insidieuse, obsessionnelle, tellement bien dessinée, sentiment d'impuissance.

"Dessiner encore". (c) Les Arènes BD.
L'hébergement chez "Libé" rappelle la précédente attaque contre "Charlie Hebdo", le 2 novembre 2011. Coco évoque les soutiens et les couardises ainsi que la lâcheté. Que devient la liberté de la presse si on l'assortit d'un "mais"... Une vieille histoire partie, en 2004, des caricatures danoises! Des audiences nous sont rappelées. Puis vient le 7 janvier 2015 et sa vague plus grande qu'un tsunami. Puis le 9 janvier et les autres attaques. Puis la grande marche "Nous sommes Charlie". Puis ce numéro spécial du 12 janvier. Qu'y mettre? Qu'y auraient mis ceux qui ne sont plus là? Qu'y fait Coco, la rescapée? La solitude, les doutes, les questions. Les insomnies et les cauchemars. Les funérailles et le retour brutal, indigne, dans la vraie vie avec les questions sur l'actionnariat.

Puis le rebond, se laisser toucher par la beauté, le plaisir des petits riens, l'amour, et surtout le dessin tout en sachant les fractures à l'intérieur d'une apparence normale, en sachant que l'insouciance est morte. Dessiner, dessiner encore, tout en n'oubliant jamais. Jusqu'à cette dernière page où Coco flotte sur une mer au fond de laquelle se tiennent deux fantômes. Avec sa narration éminemment graphique, se passant souvent de mots, "Dessiner encore" est un témoignage bouleversant, porté au sublime par les pinceaux gracieux et expressifs de Coco. Un récit de douleur et de doutes, de mort et de vie, un portrait joyeux de ceux qui ont fait "Charlie", un partage qui nous interroge sur nos choix.











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