Andreï Siniavski en 1975. |
C'en était trop pour le pouvoir soviétique qui l'arrête en 1965, en même temps que son confrère Iouli Daniel, et condamne les deux hommes au goulag en 1966. Andreï Siniavski en sortira en 1972, atteint physiquement mais non moralement. Au contraire! Figure de la dissidence malgré lui, il est contraint à l'exil à sa libération par le KGB qui craignait son influence dans le pays. Il s'installe à Fontenay-aux-Roses avec son épouse et leur fils. Devenu professeur à la Sorbonne, Siniavski reprend ses publications, un récit de sa détention et divers romans dont "André-la-Poisse", aujourd'hui réédité en une version soignée, beau papier, typo et graphismes étudiés et agréables, préfacée par Iegor Gran (Les Editions du Typhon, 162 pages), dans la traduction faite par Louis Martinez pour Albin Michel en 1981.
"André-la-Poisse" est dédié à "la merveilleuse mémoire d'Ernst Theodor Amadeus Hoffmann", parfois mieux identifié en tant que E.T.A. Hoffmann, le créateur du réalisme fantastique, célèbre pour ses "Contes", dont "Casse-Noisette et le roi des souris", ses "Contes nocturnes" et ses "Nouvelles fantastiques", celui qui avançait crânement "Peut-être parviendrai-je à persuader mon lecteur que rien n'est plus fantastique et plus fou que la vie réelle". La dédicace se mue en hommage dans ce texte brillant, d'une originalité incomparable avec ce qui se publie aujourd'hui. Le roman en sept chapitres a été écrit à Paris, en russe, en 1979. A la première personne, plein de surprises et d'une superbe construction, il interpelle régulièrement un dénommé Siniavski sans être pour autant une autobiographie. Mais on y trouve, romancées, des bribes de la vie de l'auteur et des siens.
Ce conte noir satirique, bijou d'humour grinçant, n'a absolument pas vieilli. On savoure son écriture précise, musicale, libre, sa folle imagination, ses éléments qui se croisent et se recroisent à intervalles réguliers, de Dora au chien à promener, le tout au service d'une existence vouée aux échecs dûment acceptés. Petit, André-la-Poisse a échangé son bégaiement contre le sacrifice de l'amour lors d'un pacte avec une fée-sorcière, sa pédiatre. Il n'avait que dix ans et ignorait tout de ce qu'il sacrifiait. On va suivre ce gamin, sixième et dernier fils de sa mère qui a eu les cinq premiers d'un autre lit, chercher son père et naviguer de malchance en infortune, de mort en drame. Il faut se rappeler du surnom du narrateur, bercé bébé par sa mère au son de "Dors, mais dors donc, ma petite misère". Jeu de déséquilibre jamais plaintif, bien au contraire, rondement mené dans une superbe célébration de la beauté en général et de la littérature en particulier. Jeu d'illusions dans lesquelles se perdre avec un immense plaisir. Jeu de vérité pour l'écrivain narrateur et pour ses lecteurs enchantés. "André-la-Poisse" est un roman auquel il faut totalement s'abandonner pour en savourer tous les délices, sucrés et salés.
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