Nombre total de pages vues

lundi 5 octobre 2020

Chen Jiang Hong, dit Chen: "C'est une chance de recevoir la mission de la transmission"

Chen au Wolf.


On l'appelle Chen, de son nom de famille. Et il l'accepte sans sourciller, disant que c'est plus facile pour les enfants. Chen Jiang Hong, avec son nom qui précède son prénom, ne peut cacher qu'il est d'origine chinoise. Né en 1963, il est arrivé en France en 1987après avoir fait les Beaux-Arts à Pékin. Il a publié son premier album en littérature de jeunesse en 1995. C'était à l'école des loisirs, son principal éditeur, à la demande de Markus Osterwalder, vite devenu un complice puis un ami. Aujourd'hui, il y affiche une vingtaine d'albums, principalement comme auteur-illustrateur, sans oublier une belle série de recueils de contes de divers pays qu'il a illustrés.

Une œuvre de 2020.
En parallèle à ses somptueux albums, Chen a aussi une très grande activité de peintre, des toiles, souvent de grand format, plutôt abstraites mais inspirées par ses origines, encre de Chine, fleur de lotus...




S'il faut synthétiser les albums jeunesse de Chen, je dirais que ce sont des livres d'une incroyable beauté plastique, entrant en résonnance avec une histoire complexe mais à hauteur d'enfant, souvent portée par une légende ancienne parfois réinventée. Des pages à regarder de près, complètement accessibles à tous. Des livres d'une grande richesse qu'on peut lire et relire tant ils fourmillent de détails à observer et sont le résultat d'une construction très pensée tout en étant invisible. Des bijoux d'histoires que j'ai déjà largement évoqués (lire ici).

Chen vient de passer trois jours en résidence au Wolf à Bruxelles. Masqué, volubile, attentif et souriant, il a rencontré des enfants, des étudiants, des adultes intéressés par son travail. Et moi, pour une conversation à bâtons rompus qui a débuté sur ses trois derniers albums en date. Les magnifiques "Gâteau de Lune" et "Sann", le très beau, esthétiquement, "Nima et l'ogresse", moins enthousiasmant scénaristiquement parlant.




Il me semble que tu publies moins d'albums pour enfants? Est-ce ton travail de peintre qui t'occupe davantage?
Depuis plusieurs années, je fais beaucoup de peinture. Et moins de livres pour enfants qu'avant car plus on en fait, plus c'est difficile. Je suis très exigeant vis-à-vis de moi-même. Pour faire un livre, il me faut avoir quelque chose à dire. Je ne veux pas faire une chose qui m'ennuie moi-même. Aujourd'hui, je prends plus de temps, j’essaie de faire des choses plus intéressantes que celles que j'ai déjà faites. Je dois me surprendre, trouver des sujets. J'ai plusieurs projets personnels non publiés, dont un sur le deuil, réalisé quand mon père est mort.

 

Parlons un peu de "Gâteau de lune" (l'école des loisirs, 2018) avec la princesse Xian-Zi qui, du haut de son Palais du Ciel, rêve de connaître la vie sur Terre, y vient et sera ensuite privée de son fils en guise de punition par son père.
C'est un livre pour ma mère. Je l'ai commencé quand elle était déjà malade. Elle est décédée, en Chine, avant que je ne l'aie terminé. Mon père était, lui, parti en 2015.
Ma mère est tombée malade en 2016. Ma sœur m'a appelé de Chine alors que j'étais au Liban. Elle m'a dit: "On a fait des gâteaux de lune, on en garde un pour toi." C'est une fête d’automne importante en Chine (NDLR: elle a eu lieu le jeudi 1er octobre en cette année 2020). J'ai mêlé une histoire à cette légende. Ce livre, que j’ai commencé quand ma mère était déjà vraiment malade, a été une course contre la mort pour moi, à distance en plus. Ma mère n’était pas facile, mais je suis son seul garçon et son dernier enfant. C'était dur de contrôler mon émotion.
"Gâteau de Lune". (c) l'école des loisirs.

Et de "Nima et l'ogresse" (texte de Pierre Bertrand, l'école des loisirs, 2019) qui parle du Tibet comme son titre ne le dit pas et où apparaissent des couleurs inhabituelles chez toi.

Pierre Bertrand, l'auteur des "Cornebidouille" souhaitait que j'illustre son histoire sur le Tibet. Personnellement, j'ai toujours eu envie de faire un sujet sur le Tibet mais je n'ai pas trouvé la bonne histoire jusqu'à présent. Alors j'ai illustré la sienne tout en lui proposant quelques modifications de scénario.
"Nima et l'ogresse". (c) l'école des loisirs.

Et le magnifique "Sann" (l'école des loisirs, 2014), petit garçon incroyablement déterminé qui veut aider ses parents et débarrasser son village des pierres qui l'encombrent?

L'histoire m'est venue durant un concert de Berlioz. "Le vieux qui voulait déplacer la montagne" est un conte traditionnel. Il a même été utilisé par Mao dans son "Petit livre rouge". J'ai retranscrit le conte avec un héros enfant. 
"Sann". (c) l'école des loisirs.

Où en est le projet de suite au génial "Mao et moi", autobiographique?

J'ai toujours le projet d'en faire la suite, plutôt centrée sur mon apprentissage du dessin jusqu'aux Beaux-Arts. Je l'ai commencé dans un carnet.

 

As-tu un autre projet?
Oui, un roman graphique sur l'exil, qui dira la souffrance de quitter son pays et de finalement n'être de nulle part. Mais j’ai besoin de beaucoup de temps pour moi pour l’exposition que je prépare et pour ma peinture. J'ai vécu des choses très profondes, ce départ vers la France, les allers-retours vers la Chine, tous ces croisements, l'alternance entre espoir et désespoir.

 

Envisagerais-tu de retourner en Chine?
Non, de façon catégorique. Cela n'a pas de sens pour moi. Je suis depuis 33 ans en France et depuis 26 ans à l'école des loisirs. Mais qui sait? La vie bouge, on change. Depuis la mort de mes parents, je n'ai plus de racines en Chine. En France, je me suis trouvé une nouvelle terre. Si je retourne, cette plante-là va mourir en moi. Elle n'aura plus de terre fertile pour pousser.

 

Quel regard portes-tu sur ta vie ici?
J'ai beaucoup de chance dans ma vie. Je fais de la peinture, des livres pour enfants et je rencontre les jeunes lecteurs. C'est une chance de recevoir la mission de la transmission.
J'aimerais prendre des jeunes avec moi, des apprentis, mais c'est difficile pour eux d'avoir le niveau. Aujourd'hui, les étudiants sont beaucoup dans le confort, dans la facilité.
Moi, je dois faire ça, des livres pour enfants, non parce que j'en ai envie, je ne cherche pas la notoriété ou à montrer mes capacités dans des dessins ou dans des histoires mais parce qu'il y a une voix quelque part qui me dit: je t'ai tout donné, il faut que tu donnes ça aux enfants maintenant. C'est cela, la transmission dont je parle.

Quel créateur es-tu?
L'apprentissage du dessin demande du travail, beaucoup, de la maîtrise, de l'excellence. Je dois donner cela aux enfants. C'est presque un devoir. On m'a aidé, maintenant je dois aider les autres. Je ne suis pas croyant mais je pense qu'il y a une force supérieure au-dessus de nous. Ma volonté est de traduire cela à travers la beauté, l'exigence, jusqu'au sublime. Je veux montrer la beauté, je veux montrer l'espoir.
Je ne prépare rien, cela jaillit à son heure avec facilité, comme une fontaine.
Aujourd'hui, la médiocrité est de plus en plus répandue. On ne trouve plus le sublime. Si on perd ça, on perd la vie, on perd le sens essentiel de la vie. L'honnêteté est de rester modeste, humble, respectueux, patient et calme. Il faut beaucoup d'apprentissage, de maîtrise et d'observation pour accéder à la perfection. Si une partie manque, cela se voit dans le livre.

Chen au Wolf.






1 commentaire:

  1. J'ai eu la chance de travailler avec Chen et des enfants d'Epinay-sur -seine deux années de suite à la réalisation d'un livre illustré - Il est à la fois exigeant, attentif , généreux . Une belle personne !

    RépondreSupprimer