Françoise Héritier en 2013. |
Anthropologue, ethnologue et féministe française, Françoise Héritier est décédée ce 15 novembre à Paris, le jour de son anniversaire, à l'âge de 84 ans. Elle était née le 15 novembre 1933 à Veauche dans la Loire. Elève de Claude Lévi-Strauss dans les années 50 - elle lui a succédé au Collège de France de 1981 à 1998 -, elle était connue pour ses écrits sur la domination masculine. Elle avait notamment publié "Masculin/Féminin" et "Le Sel de la vie".
Elle venait de publier un livre de souvenirs, entre amour des mots et goût de vivre, "Au gré des jours" (Editions Odile Jacob, 151 pages), qui peut être feuilleté en ligne ici. Elle s'en explique ainsi:
"Je me souviens de moments forts ou décisifs. Je me suis formée émotionnellement et affectivement de bric et de broc. Quelque chose s'est passé dans mon enfance qui m'a donné une forme de solidité.
Je me souviens de conversations à bâtons rompus, pleines de vivacité, de renversements, de tête-à-queue, de retours en arrière, de mots d'esprit, de fous rires, de mines offusquées… avec une amie. Ce sont des moments de grâce et de vérité.
Je ne recherche rien tant que cette amitié-là, simplement parce que c'est nous et qu'on s'aime."
Elle venait de recevoir le prix Femina pour l'ensemble de son œuvre (lire ici).
Drôle, savante, engagée dans de multiples luttes de société, féministe, essayiste et poète, Françoise Héritier laisse une place vide immense, à la fois dans la communauté scientifique et dans la société tout court. J'avais eu l'occasion de présenter deux de ses derniers livres en décembre 2013, entre d'autres auteurs (voir ici). Pour plus de facilité, je republie la partie qui la concerne.
Dédié à quelqu'un "avec qui causer était un art délicieux", le nouvel ouvrage de Françoise Héritier, "Le goût des mots" (Odile Jacob, 112 pages, 2013), poursuit l'exploration intime du bonheur de l'existence. Chacun peut, dit-elle, trouver la richesse de son univers intime à partir de quelques mots.
Ce livre est la suite du précédent, "Le Sel de la vie" (Odile Jacob, 92 pages, 2012). À nouveau une "fantaisie". Sur la "parlure" cette fois, équivalent oral de l'écriture, comme le dit joliment Françoise Héritier. Soit tenter de se rappeler comment, enfant, on a découvert les mots du langage parlé.
"Je suis entourée de mots dans une forêt bruissante où chacun se démène pour attirer l'attention et prendre le dessus, retenir, intriguer, subjuguer, et chacun aspire ces échappées belles", écrit-elle.
"Je suis entourée de mots dans une forêt bruissante où chacun se démène pour attirer l'attention et prendre le dessus, retenir, intriguer, subjuguer, et chacun aspire ces échappées belles", écrit-elle.
Pour analyser cette faculté créatrice de sens d'après les sons et ensuite son formatage, l'auteure part de sa propre expérience. Elle a défini deux registres, selon les deux sens du mot: "volume où on liste des données à enregistrer" et "orientation, tonalité qu'on donne". Dans le premier, elle place le goût pour les mots, répartis en trois catégories: ceux "dont la sonorité colle à la chose", ceux de la sidération, de l'étrangeté, qui ne collent pas à la chose, et ceux qui prennent "pour elle un autre sens que celui qu'ils ont ordinairement". Dans le deuxième registre, elle dépose les "lieux communs dont nous nous servons sans y prendre garde". A ses yeux, "des raccourcis fulgurants, efficaces, nécessaires". Elle donne divers exemples avant d'établir une liste des mots abstraits adéquats qu'ils remplacent. Et de chercher la raison de ces échanges.
"Je me suis plue à mener cette enquête sur les raisons du goût que j'ai pour les mots", poursuit-elle encore, "goût qui est, je crois, partagé par le plus grand nombre." Espérons...
Françoise Héritier conclut alors cet ouvrage plein de surprises par de courtes histoires, constituées d'expressions toutes faites porteuses d'émotions dont elle présente les listes.
"On ne sort pas du jeu", conclut-elle. "On l'alimente, comme le feu."
Le début du livre "Le goût des mots" peut être lu ici.
"Je me suis plue à mener cette enquête sur les raisons du goût que j'ai pour les mots", poursuit-elle encore, "goût qui est, je crois, partagé par le plus grand nombre." Espérons...
Françoise Héritier conclut alors cet ouvrage plein de surprises par de courtes histoires, constituées d'expressions toutes faites porteuses d'émotions dont elle présente les listes.
"On ne sort pas du jeu", conclut-elle. "On l'alimente, comme le feu."
Le début du livre "Le goût des mots" peut être lu ici.
Elle lui répond: "Vous escamotez chaque jour ce qui fait le sel de la vie. Et quel bénéfice, sinon la culpabilité de ne jamais en faire assez?" Puis, Françoise Héritier se demande ce qui fait le sel de sa vie à elle. Elle liste, déjà, elle énumère.
Ce texte deviendra le livre "Le Sel de la vie", long poème en prose en hommage à la vie. Ses écrits vont du 13 août au 10 octobre 2011 et se clôturent par une invitation à "tourner la page".
Toute sa vie y passe, depuis sa naissance avant la Seconde Guerre mondiale, ses souvenirs, ses rencontres, ses bonheurs, la maladie. Peu de tracas au final, estime-t-elle. On suit avec plaisir ces lignes sensuelles et légères, invitant chacun à se rendre compte de ce qui fait le sel de sa vie à lui.
Le début du livre "Le Sel de la vie" peut être lu ici.
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