Nombre total de pages vues

jeudi 11 octobre 2018

Une fable de Mark Twain traverse le temps

"Eurêka", dit le jeune Johnny. (c) Kaléidoscope.

Si je vous dis "Mark Twain?", vous me répondez "Tom Sawyer" ou "Huckleberry Finn" sans doute.
Si je vous dis "Philip et Erin Stead?", soit vous restez silencieux, soit vous me dites par exemple "A-A-A-A-Atchoum !", du titre du merveilleux album qui a fait connaître ce duo d'Américains au public francophone (Kaléidoscope, 2011).
Mais si je vous dis "Mark Twain et Philip et Erin Stead?" C'est plus difficile mais je vous donne la réponse.

Il s'agit du magnifique roman illustré  "L'enlèvement du prince Oléomargarine" des trois déjà cités, Mark Twain, Philip Stead et Erin Stead, en bon format et bien épais (traduit de l'américain Isabel Finkenstaedt, Kaléidoscope, 156 pages). Une impeccable histoire de prince disparu à retrouver. Une aventure passionnante, pleine de surprises et d'imagination, entre un jeune garçon et de nombreux animaux, magistralement illustrée. Pour tous à partir de 8/9 ans.

Le début du livre. (c) Kaléidoscope.

Oui, me direz-vous, mais comment ces noms d'hier et d'aujourd'hui s'associent-ils? Tout simplement parce que Philip Stead a terminé une histoire que Mark Twain avait entamée il y a plus d'un siècle. Il l'avait racontée à ses filles petites à partir d'une image anatomique de magazine qu'elles lui avaient désignée et avait brièvement consigné ce récit dans son journal et dans des notes qu'un chercheur a débusquées en consultant ses archives.  Mais Philip Stead ne s'est pas attelé à la tâche que lui confiait un éditeur américain de manière classique, en reprenant l'histoire là où elle s'était arrêtée. Il l'a fait en bouleversant complètement le genre. Et c'est là le côté fantastique de ce récit, qui met littéralement en scène cette reprise, en faisant comme si l'auteur d'aujourd'hui interrogeait Mark Twain au sujet du livre qu'ils font finalement ensemble. Leurs dialogues sont tout bonnement irrésistibles. Tout comme les questions posées dans le texte aux différents protagonistes. Et bien entendu, c'est la très douée Erin Stead, épouse de l'auteur numéro deux, qui s'est chargée des illustrations, absolument superbes. Sculptures sur bois, encre, crayon, découpe laser, ici aussi, techniques d'hier et d'aujourd'hui se marient pour le meilleur.

Un orteil blessé va tout déclencher. (c) Kaléidoscope.

L'histoire qui traverse le temps est celle du jeune Johnny, qui vit avec son irascible grand-père, et de sa poule mélancolique nommée Pestilence et Famine. Il faut se rappeler qu'on est à l'époque de Mark Twain, soit à la fin du XIXe siècle, aux Etats-Unis - mais l'histoire est née en 1879 à Paris, dans un hôtel, pour les filles de Mark Twain

Et donc l'affreux grand-père a ordonné à Johnny d'aller vendre sa poule au marché de la ville voisine. On imagine le désarroi du gamin. Mais obéissant, il y va. Sa route va lui faire vivre, en compagnie ou non de sa poule, des événements incroyables, amenés de formidable manière par les auteurs. Un défilé dont tous les participants marchent voûtés, on verra pourquoi. Une conversation avec un bœuf, la rencontre avec une vieille femme aveugle, le cadeau d'une poignée de graines bleu pâle magiques...

Jusqu'à ce stade de l'histoire, Mark Twain et Philip Stead ont été plutôt d'accord sur l'évolution de leur histoire. Il en sera différemment ensuite, ce qui pimente l'avancée du récit et permet de nouvelles péripéties dont l'arrivée du putois Suzy qui apprend notamment à Johnny que les animaux peuvent parler. Elle sait aussi que le jeune voyageur a mangé de la fleur de juju, ce qui est extrêmement rare et est communiqué à tous les animaux du pays, excepté la tigresse!

La rencontre avec Suzy. (c) Kaléidoscope.

La vie de Johnny change en compagnie des animaux, même si les auteurs d'hier et d'aujourd'hui ne partagent pas toujours le même point de vue sur le déroulement des aventures. Le lecteur, lui, les savoure et se laisse porter par cette histoire qui penche vers la fable mais ne s'émousse pas pour autant. Enfin heureux, Johnny va encore vivre de fameuses aventures en se lançant à la recherche du prince Oléomargarine, le fils du roi, peut-être enlevé par des géants, et dont la découverte paraît richement récompensée. Le jeune homme fait la connaissance du roi, de ses certitudes, et de la reine, de ses doutes. Il s'en suit une enquête rondement menée, passionnante de bout en bout, aux rebondissements constants et qui se terminera bien entendu sur de bonnes surprises.

La rencontre avec le roi et la reine. (c) Kaléidoscope.

"L''enlèvement du prince Oléomargarine" est une merveille d'album qui suscite le coup de cœur, tant pour son histoire, sa conception, ses images que sa mise en pages aérée et son impression sur beau papier. Une perle de livre où Mark Twain nous fait un clin d'œil et les Stead un sourire tentateur. Pour tous à partir de 8/9 ans.


Bonus

Les coulisses de l'album telles que les révèlent les Editions Kaléidoscope qui le publient en français, par la plume de Claudine Colozzi.

"On l'a découvert à l'occasion de la sortie de cet album: l'écrivain Mark Twain avait l'habitude de raconter des histoires à ses filles. Il prenait un objet au hasard et brodait autour pour le grand plaisir des deux fillettes. Un soir de 1879, dans un hôtel parisien, Clara et Susy montrent un dessin extrait d'un magazine à leur père et le supplient d'inventer une histoire. "L'Enlèvement du prince Oléomargarine" est le seul récit à avoir été couché sur le papier par l'écrivain. Inachevé, il a dormi pendant plus d'un siècle dans les archives Mark Twain Papers conservées à l'Université de Californie à Berkeley. Il n'attendait que d'être repris par une plume alerte. L'auteur américain Philip Stead relève le défi en partant des notes laissées en jachère. Non seulement il achève l'histoire, mais il choisit d'aller plus loin en se mettant en scène dans une conversation avec le célèbre auteur des "Aventures de Tom Sawyer" et "Huckleberry Finn" qui sert de fil conducteur.
De quoi est-il question dans "L'Enlèvement du prince Oléomargarine", seul album pour enfants de Mark Twain? Johnny, jeune et doux garçon désargenté, malmené par un grand-père cruel, est entraîné malgré lui dans une quête pour retrouver un prince disparu. Une fleur magique lui donne le pouvoir de comprendre le langage des animaux, un pouvoir utile pour réussir dans sa périlleuse entreprise. De manière très étonnante et réussie, le périple de Johnny est souvent interrompu par des apartés imaginaires entre Twain et Stead. Les illustrations d'Erin Stead, imprimées sur des blocs de bois avec des encres à l'huile, puis couvertes de dessins au crayon à papier, confèrent à cette fable sociale légèreté et grâce, tout comme ses portraits minutieux de chaque personnage. Le propos est un plaidoyer en faveur de l'honnêteté et de la gentillesse, exprimé avec une économie de mots par Johnny, résolument moins expansif que les deux auteurs. "Johnny inspira profondément pour se calmer. Puis il ouvrit sa bouche et découvrit les mots qui pourraient sauver l'humanité de tous ses maux, si seulement l'humanité pouvait les prononcer de temps en temps avec sincérité. Il dit: “Je suis content d’être là.”"
Le livre est sorti aux États-Unis en 2017. Les éditions Kaléidoscope sont très heureuses de publier en français cet ouvrage original qui tranche avec les traditionnels albums pour la jeunesse. Il faut rappeler que Kaléidoscope connaît bien le couple Stead. Cinq de leurs albums figurent au catalogue, dont le remarqué "A-A-A-A-Atchoum", qui avait d'emblée séduit toute l'équipe par la grâce, la sensibilité et la grande douceur des dessins et du texte."




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire